Comment se traduit pour AXA France la convergence des transformations durable, numérique et organisationnelle ?
L’interrogation sur la convergence des transformations au sein de notre activité trouve sa réponse dans l’intégration profonde de la data et de l’IA dans notre stratégie de transformation. Avec des piliers stratégiques clairement définis – une meilleure connaissance du client, le développement du multi-équipement, l’engagement envers la responsabilité sociale des entreprises (RSE), et l’atteinte de l’excellence technique et opérationnelle –, nous plaçons la data au cœur de notre démarche. La culture, l’organisation, et la technologie constituent les fondements de cette transformation, soulignant l’importance cruciale d’être guidés par les données dès le début. Cette orientation data driven est essentielle pour préparer l’avenir, notamment la transition vers une entreprise durable, car elle permet de mesurer précisément nos progrès et de s’adapter rapidement.
Quelles sont les méthodes de pilotage de projet utilisées ?
Chez AXA France, notre stratégie et nos chantiers s’articulent autour d’un plan stratégique triennal, reflétant la conviction que pour générer un retour sur investissement (ROI*) significatif et convaincant pour nos actionnaires, une perspective à moyen terme est essentielle. Cette démarche s’accompagne d’un pilotage mensuel rigoureux pour assurer l’alignement et la réactivité de nos actions. Nous adoptons une approche structurée distinguant clairement les objectifs en lien direct avec le plan stratégique d’AXA France (why) et des moyens pour les atteindre (how : organisation, culture et technologie). Ce cadre nous permet de travailler sur des fondations solides tout en intégrant le changement et en promouvant une gouvernance décentralisée, notamment dans les domaines de la data et de l’IA.
En transition d'une gestion centralisée vers une approche où les "data leaders" dans chaque domaine métier déploient la stratégie data localement, nous nous appuyons sur un Data Office central agissant comme un chef d’orchestre. Notre philosophie «penser grand, commencer petit et montrer rapidement de la valeur» guide notre mise en œuvre, avec des livraisons par lots au fil du mois. La gestion de ce pilotage dynamique est essentielle, avec une équipe dédiée chargée de surveiller les échéances et d’alerter en cas de déviation par rapport au planning prévu. Cette rigueur dans le suivi permet d’assurer que nous restons sur la bonne voie pour atteindre nos objectifs stratégiques dans les délais impartis.
Quels sont vos projets actuels qui intègrent la Business Intelligence (BI) pour transformer et optimiser vos opérations digitales ?"
Chez AXA France, les chantiers digitaux axés sur la business intelligence* évoluent vers une gouvernance et une utilisation novatrice des données. Historiquement, la BI faisait partie intégrante de notre fonctionnement, mais aujourd’hui, nous nous orientons vers une transformation qui transcende la simple génération de rapports. La clé de cette évolution réside dans la gouvernance de la BI, incarnée par le concept de «data mesh*» où les données produites par un domaine métier peuvent être ensuite utilisées par d’autres, favorisant ainsi une approche de décentralisation gouvernée.
Cette mutation organisationnelle s’accompagne d’une volonté d’uniformiser la qualité et l’interprétation des données, garantissant que des indicateurs clés tels que la «prime» et le «client» conservent une signification cohérente à travers l’organisation au niveau local et potentiellement niveau groupe. Ce passage à un langage commun et à un catalogue de données compréhensibles et accessibles à tous représente un changement fondamental, mettant l'accent sur la structuration et la gouvernance de la BI et de la data plutôt que sur les outils BI eux-mêmes.
Cela implique-t-il une responsabilisation des métiers vis-à-vis de la qualité des données ?
En effet, au cœur de cette transition se trouve la responsabilisation vis-à-vis de la qualité des données produites et utilisées. Cela reflète notre conviction que la gestion des données ne relève pas uniquement de la technologie mais constitue avant tout une composante essentielle du business. Les problèmes de qualité sont majoritairement causés à la source, lors de la génération ou la saisie de ces données. Et ce sont les métiers, qui opèrent les processus, qui sont les plus à mêmes d’y remédier. L’impact de la GenIA et de ChatGPT a été déterminant dans la perception de l’IA, la rendant plus accessible et désirable pour nos agents et collaborateurs. Cette évolution a facilité la compréhension de l’importance de la gouvernance des données. Désormais, la documentation, la définition de règles communes et l’adoption d’un langage commun sont perçues comme des prérequis indispensables pour exploiter pleinement le potentiel de l’IA. En somme, chez AXA, la gouvernance des données s’affirme comme un chantier crucial, motivé par une prise de conscience collective de son rôle fondamental dans l’habilitation de nos ambitions en IA.
Comment l’expérience client est-elle enrichie ?
Pour offrir une expérience client 360°, nous reconnaissons la nécessité constante d'amélioration chez AXA. L'émergence des startups a révolutionné les attentes en matière d'expérience client, nous mettant au défi, en tant que grand groupe, de nous mesurer à ces nouveaux venus. Leur approche centrée sur le client a élevé les standards du marché, nous incitant à repenser et à améliorer notre propre expérience utilisateur et parcours client. Nous nous trouvons alors confrontés à la nécessité de surmonter notre héritage de systèmes anciens et de transitionner vers des technologies plus agiles, telles que les plateformes cloud, tout en formant nos équipes aux nouvelles pratiques. Cette transformation n'est pas instantanée et requiert une approche structurée et progressive. De plus, nous envisageons à l’avenir d'exploiter davantage l'IA pour améliorer notre expérience client, en adoptant notamment des approches de développement plus flexibles comme le low-code. Cette stratégie nous permettra d'innover plus rapidement et de manière plus autonome, sans être contraints par les limitations de nos plateformes existantes. Le changement au sein de notre Direction des Systèmes d'Information (DSI) vers des architectures plus ouvertes et modulaires, permettant un accès plus facile aux données, est donc essentiel pour nous adapter à cette nouvelle ère digitale, en nous dotant de la capacité de déployer des solutions IA innovantes et personnalisées pour nos clients.
Comment acculturer les équipes à ce modèle “data-driven” ?
Cela constitue un chantier majeur, intégré dans un programme ambitieux qui embrasse divers axes essentiels : les équipes, la culture, la gouvernance, le socle technologique et l'intelligence artificielle. L'acculturation data-driven et l'approche centrée sur le client figurent parmi nos priorités, reflétant notre engagement à intégrer pleinement la data et l'IA dans notre culture d'entreprise. Ce vaste programme d'acculturation englobe plusieurs initiatives clés, notamment des campagnes de communication interne, un volet formation spécifique et des actions visant à faciliter le changement organisationnel, avec le soutien étroit de notre département de communication et des Ressources Humaines. Ces dernières se concentrent sur la gestion des compétences techniques et le développement de parcours d'évolution professionnelle conçus pour fidéliser nos talents. Nous avons également mis en place des parcours de formation adaptés à différents profils – du "data for all", destiné à sensibiliser l'ensemble de nos collaborateurs à l'importance de la data, au "data for business", ciblant les profils directement impliqués dans la prise de décision basée sur les données, jusqu'au "data expert" pour les spécialistes approfondissant leurs compétences techniques en la matière. En complément, une série d'initiatives, telles que des newsletters et des événements dédiés, sont déployées pour maintenir une dynamique d'apprentissage continu et de sensibilisation à l'importance stratégique de la data et de l'IA.
Avez-vous développé des initiatives pour faciliter le partage de données entre acteurs du secteur de l’assurance ?
Chez AXA, le partage de données avec nos filières et parties prenantes est une pratique établie, encadrée principalement par des obligations réglementaires. Un exemple concret de cette démarche est notre initiative Datascope, l’observatoire de l’absentéisme, qui permet d’exposer et de mieux comprendre les raisons de l’absentéisme au sein des sociétés, sur la base des 400 millions de données mensuelles issues de notre portefeuille de 3 millions de salariés. Cette initiative vise à créer des solutions partagées pour favoriser la prévention et illustre notre engagement envers une coopération responsable, tout en veillant scrupuleusement au respect des normes et des réglementations telles que le RGPD. Ce partage de données réglementé s'étendra probablement avec l'introduction de nouvelles directives comme Fida, qui nous encouragent à partager davantage de types de données. Dans l'industrie de l'assurance, fortement régulée, ces évolutions réglementaires visent à promouvoir la transparence et la collaboration entre les différents acteurs du marché.
Quels sont les premiers cas d'usage impliquant l'IA et l'IoT ?
Dans notre secteur d'activité chez AXA, l'intégration de l'Internet des Objets (IoT) et de l'intelligence artificielle (IA) représente des avenues prometteuses, bien que leur adoption soit encore modérée comparativement à d'autres industries. Un exemple notable est le dispositif "You Drive" de Direct Assurance, qui analyse le comportement de conduite pour proposer une assurance personnalisée.
Intégrez-vous l’IA comme soutien à la prise de décision stratégique ?
Chez AXA, l'intégration de l'IA dans nos processus est déjà une réalité, avec environ 20 à 30 projets en production qui améliorent notre efficacité opérationnelle. Ces applications incluent la prédiction de l'insatisfaction client, l'optimisation du routage des e-mails, l'amélioration des processus de recours, ainsi que l'utilisation de l'OCR intelligent pour la reconnaissance et la classification des documents. Notre enjeu actuel ne réside pas tant dans l'existence d'applications d'IA, mais dans la manière d'accélérer leur déploiement et leur intégration dans nos opérations. Nous nous concentrons sur la création d'un environnement propice à l'accélération de l'IA, notamment à travers le développement de socles MLOps. Ces socles offrent aux data scientists et aux actuaires la capacité de mettre à jour et de déployer leurs projets d'IA en toute autonomie et sécurité, sans intermédiaire. L'objectif, maintenant, est de passer d'une approche projet spécifique à une vision produit réutilisable, où des bases technologiques solides permettent une gouvernance décentralisée. Cela implique un passage d'une demande de projet individualisée à la mise en place de fondations technologiques qui facilitent la réplication et l'adaptation des produits IA d'un domaine à l'autre. Par conséquent, une solution développée pour l'assurance auto peut être rapidement adaptée et appliquée au domaine MRH, par exemple, permettant une amélioration continue et un apprentissage mutuel entre les différentes applications. Cette démarche, que nous appelons "IA Factory", vise à démocratiser l'utilisation de l'IA au sein d'AXA, en maximisant l'impact et l'efficacité des solutions développées à travers différents domaines d'activité.
Quels sont les domaines d’application de la GenIA au sein de vos activités marketing ?
Chez AXA, nous intégrons progressivement l'intelligence artificielle générative dans nos métiers, en mettant l'accent sur l'amélioration et le soutien des performances de nos collaborateurs plutôt que sur les interactions directes avec les clients. Cette approche reflète notre volonté de maîtriser les innovations en IA, en particulier la génération automatique de contenu (GenIA), dont nous mesurons encore les implications et les limites, notamment en termes de fiabilité et de sécurité. Un domaine d'application spécifique de l'IA au sein de nos activités tertiaires concerne la génération de contenu pour les réseaux sociaux. Nos équipes peuvent utiliser la GenIA pour préparer des ébauches de messages ou de contenus, qui sont ensuite soigneusement révisées avant publication. Cette utilisation ciblée de la GenIA permet d'augmenter l'efficacité de nos collaborateurs tout en maintenant un niveau élevé de contrôle et de qualité sur le contenu diffusé. Par ailleurs, nous avons développé des outils innovants tels que "Secure GPT" et une bibliothèque de prompts accessible à tous nos collaborateurs en toute sécurité. Cette initiative vise tout d’abord à acculturer nos collaborateurs à l’usage de la GenIA et également à gagner du temps pour la réalisation de certaines tâches, comme la création de publications professionnelles sur LinkedIn ou encore l’aide à la rédaction de comptes rendus et de courriers. En fournissant des prompts spécifiques, nous facilitons pour nos équipes notamment la rédaction de mails alignés sur les standards de qualité et les objectifs de communication de l'entreprise, tout en conservant une certaine uniformité dans le style et le message véhiculé. Cette stratégie d'intégration de la GenIA montre notre engagement à exploiter les avancées technologiques pour renforcer nos capacités internes, tout en procédant avec prudence pour garantir la sécurité, la pertinence et l'efficacité de ces outils.
Quels défis et opportunités identifiez-vous en matière d'acculturation data ?
Les enjeux d'acculturation se concentrent autour de plusieurs axes principaux. Tout d'abord, la qualité des données demeure une priorité absolue. L'amélioration continue de cette qualité est cruciale pour le succès de nos initiatives data et IA, et ce défi restera pertinent bien au-delà des deux prochaines années. Il est essentiel de sensibiliser chaque membre de l'organisation à l'importance de données fiables et précises. Ensuite, la formation et l'acculturation au "prompting" pour l'utilisation de l'intelligence artificielle générative est un autre enjeu majeur. Contrairement à l'avis de certains experts du secteur, nous croyons que la compétence en "prompting" ne devrait pas être confiée à des spécialistes ou à de nouveaux postes tels que les "prompt engineers". Au contraire, cette compétence devrait être démocratisée, rendant chaque employé capable d'interagir efficacement avec l'IA générative dans le cadre de ses activités quotidiennes. L'objectif est de démocratiser l'accès à la data et à l'IA pour tous, en encourageant une culture où chaque collaborateur, quel que soit son niveau de compétence technique, peut contribuer à l'exploitation des données et à l'implémentation de solutions d'IA. Cela inclut l'adoption d'approches low-code et no-code, simplifiant le développement et l'application de l'IA sans nécessiter une expertise approfondie en programmation. Cette vision prévoit un avenir où la distinction entre les professionnels de l'IT et les autres métiers s'estompera, grâce à des outils toujours plus accessibles et intuitifs. La facilité d'utilisation et l'accessibilité des technologies d'IA et de data science transformeront profondément les compétences requises au sein de l'entreprise, mettant potentiellement en question les rôles traditionnels de l'IT.
Quel rôle joue la data dans la mise en place d’une organisation plus flexible ?
La data s'avère essentielle pour favoriser la décentralisation des prises de décisions, en alignant les indicateurs de performance (KPI) à tous les niveaux de l'entreprise. Cela assure une cohérence et une transparence qui permettent à chaque collaborateur de comprendre clairement les objectifs et les critères d'évaluation, favorisant ainsi une responsabilisation et une autonomie accrues. La modernisation de l'IT et l'adoption du travail hybride sont également au cœur de cette transformation. J'ai adopté un modèle de décentralisation gouvernée, où des responsables sont désignés au plus près du métier pour mener à bien les projets, avec une gouvernance centrale qui supervise sans intervenir directement. Cette approche améliore la réactivité et l'efficacité, en responsabilisant les équipes au plus proche de l'action tout en maintenant une cohérence globale. En parallèle, la mise en place d'une marketplace interne pour les données et les produits IA illustre notre volonté de faciliter le partage et la réutilisation des solutions au sein de l'entreprise. Les data leaders jouent un rôle clé dans ce processus, en exposant leurs produits data et IA sur cette plateforme, préparant ainsi le terrain pour une collaboration accrue et une efficience améliorée à travers les différents métiers. Cette vision d'une organisation plus flexible, plus réactive et résolument tournée vers l'avenir repose sur une intégration profonde de la data et une réflexion novatrice sur les modes de travail et la structure organisationnelle.
Comment mesurez-vous votre engagement durable ?
Chez AXA, l'évaluation de l'impact, en particulier dans le contexte de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et des SBTi (Science Based Targets initiative), est une priorité stratégique. Nous avons clairement intégré cette dimension à travers trois piliers principaux : le Client, la Data et le Climat. Un membre du comité exécutif est spécifiquement chargé de superviser nos initiatives en matière de RSE et d'impact, soulignant l'importance que nous accordons à ces enjeux. Notre approche en termes de responsabilité sociale d'entreprise n'est pas nouvelle, mais elle s'adapte constamment aux exigences réglementaires et aux attentes sociétales. Par ailleurs, dans le domaine spécifique de l'IT, nous nous efforçons de minimiser notre empreinte carbone, notamment en augmentant la durée de vie de notre matériel informatique, en monitorant notre consommation énergétique et en formant nos équipes à l’éco-conception. Aussi, en anticipation des réglementations à venir, nous développons des stratégies pour mesurer et réduire l'impact de nos clients. Parmi nos programmes data, nous avons initié un programme dédié à "l'assureur responsable", comprenant la gestion des KPIs relatifs à l'impact et la mise en œuvre de pratiques responsables dans l'utilisation de nos ressources informatiques. Ce programme inclut un suivi rigoureux de notre consommation de données et d'énergie à travers des pratiques de FINOPS, qui visent à équilibrer l'augmentation nécessaire de notre consommation de données et d'IA avec une utilisation responsable de ces technologies. L'objectif est de garantir que nos activités d'IA et de traitement des données soient à la fois pertinentes et économes en ressources, par le biais d'une évaluation rigoureuse des projets d'IA, de l'optimisation des modèles et du suivi de la consommation énergétique de nos infrastructures. Nous encourageons également la responsabilisation des métiers quant à leur consommation de ressources, en nous orientant vers un modèle où les coûts sont directement attribués aux départements concernés, favorisant ainsi une plus grande maîtrise de l'impact environnemental de nos opérations.
Face à l'augmentation des sinistres liés aux changements climatiques, quelle stratégie adoptez-vous pour optimiser leur gestion par la data ?
AXA adopte une approche proactive, axée sur la prévention et le coaching des clients. L'objectif est de réduire l'impact des événements climatiques avant qu'ils ne surviennent, en s'appuyant sur les données, la prédiction et l'intelligence artificielle (IA) pour informer et conseiller efficacement nos clients. Nous développons et utilisons des technologies capables d'anticiper des événements spécifiques, tels que des alertes pour rentrer les véhicules en prévision de la grêle. Cependant, notre ambition est d'aller bien au-delà des mesures ponctuelles. Nous visons à intégrer de manière plus systématique l'utilisation de la data et de l'IA pour élaborer des stratégies de prévention sur mesure pour nos clients, en fonction de leur situation géographique et de leur profil de risque. Cette stratégie de "prévenir plutôt que guérir" implique une communication étroite et personnalisée avec nos clients, leur fournissant des conseils et des avertissements préventifs pour les aider à éviter ou à minimiser les dommages causés par les aléas climatiques. Par exemple, cela pourrait inclure des conseils sur la sécurisation de la propriété avant une tempête, ou des recommandations pour réduire les risques d'inondation.
“L'objectif est de garantir que nos activités d'IA et de traitement des données soient à la fois pertinentes et économes en ressource : ce qu’on appelle un usage responsable”
Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération