

Sommaire de l'ouvrage

IA, machine learning, et blockchain : quels sont les projets en cours ?
Actuellement, les principaux chantiers que nous avons entamés se concentrent sur les domaines de l’intelligence artificielle et du machine learning. Nous sommes en train de planifier notre deuxième vague de projets, après un déploiement à l’échelle de programmes focalisés sur le marketing et les ventes avec des retours sur investissement significatifs. Nous allons, entre autres, focaliser les prochaines étapes sur l’optimisation de la chaîne d’approvisionnement. Une constante priorisation a facilité notre démarche de manière considérable. En ce qui concerne la Blockchain* et l’Internet des Objets (IoT*), il est essentiel de sélectionner les bons cas d’utilisation. Ainsi, chez Pernod Ricard, bien que nous ayons identifié certains cas d’utilisation, leur nombre reste limité. Nous avons donc décidé de restreindre notre investissement dans la Blockchain* à quelques-uns des cas les plus pertinents pour notre activité.
Quels sont les premiers usages de l’Internet des Objets (IoT) ?
L’utilisation de l’Internet des Objets* chez nous est principalement axée sur la traçabilité de nos produits. Le pays où nous avons le plus déployé cette technologie est la Chine. Nous employons des stickers équipés de QR codes et de tags NFC*, appliqués dès la chaîne de production sur les cartons ainsi que sur les palettes. Cela nous permet de suivre les produits tout au long de la chaîne logistique, jusqu’au consommateur final. Le consommateur trouve également le QR code sur la bouteille, qu’il peut scanner pour accéder à un programme de fidélité. Cette méthode nous offre une traçabilité complète et efficace. Actuellement, cette approche fonctionne bien à grande échelle, avec environ 75% de nos produits en Chine, notre deuxième plus gros marché, intégrant cette technologie.
La personnalisation à grande échelle est-elle toujours une priorité pour vous ?
La personnalisation à grande échelle était une promesse initiale dans les années 2010, centrée sur le CRM*, les sites web et les campagnes e-mail, que nous n’avons pas vraiment réussi à concrétiser. Le principal obstacle rencontré était la production de contenu. Personnaliser les communications, comme les e-mails, nécessite un volume substantiel de contenu adapté, ce qui s’est avéré trop coûteux à produire spécifiquement pour chaque pays. L’intelligence artificielle pourrait potentiellement aider à surmonter certaines de ces barrières, mais il nous reste encore à progresser dans nos efforts de personnalisation.
Quelle est votre stratégie en matière d'intégration de l'IA générative ?
Nous avons identifié trois domaines d’application. Premièrement, sous l’angle de l’intelligence artificielle pour tous les employés, nous nous concentrons sur l’amélioration de la productivité individuelle. Nous travaillons activement à développer une culture interne qui comprend l’éducation de nos collaborateurs sur le fonctionnement de l’IA pour surmonter les barrières mentales et assurer une utilisation consciente de ces outils. Deuxièmement, pour chaque fonction, nous avons commencé à revoir nos processus de bout en bout. Par exemple, pour la production de campagnes publicitaires, l’IA permet d’accélérer les tâches répétitives et d’accélérer certains processus tels que l’alignement des équipes via la création de moodboards. Enfin, le troisième domaine concerne les gros investissements dans des outils personnalisés, tels que la création de grands modèles de langage (LLM*) ou de modèles plus légers (SLM*) basés sur nos propres données. Cela implique une gestion et une analyse plus efficaces de grandes masses de données non structurées. Cela implique une gestion et une analyse plus efficaces de grandes masses de données non structurées. de projet nécessite de relever les défis associés aux coûts élevés de ces projets et, donc, à la nécessité de démontrer un retour sur investissement significatif. Nous sommes également en train de lancer un chatBot interne pour assister les collaborateurs dans leurs questions administratives, ainsi qu’un chatBot dédié au glossaire des termes business propres à la société pour faciliter l’intégration des nouveaux collaborateurs.
Quels sont les défis actuels liés à la cybersécurité ?
Face à la sophistication croissante des attaques, nous devons affiner nos méthodes de défense et d’analyse. Je crois fermement que la prévention efficace des attaques informatiques ne repose pas uniquement sur la technologie, mais également sur l’acculturation des collaborateurs de l’entreprise à ces enjeux. Il est ainsi impératif pour nous de relever constamment le niveau de notre réponse aux menaces de cybersécurité, en intégrant pleinement nos équipes dans ce processus de vigilance et de formation continue.
Comment surmontez-vous les résistances aux changements liées à cette nouvelle approche “data” ?
Notre approche consiste à guider nos collaborateurs à travers des cas d'utilisation pratiques. Nous leur expliquons clairement pourquoi et comment utiliser certaines données, ainsi que les bénéfices concrets que cela peut apporter, comme l'amélioration de la productivité ou l'augmentation des ventes. Cela nous aide à concentrer nos efforts sur les domaines prioritaires et à démontrer des avantages tangibles, ce qui facilite grandement la motivation des équipes à s'engager dans ces initiatives. De plus, cette méthode permet de structurer efficacement les données et d'en garantir la qualité. Cette stratégie prévient également l'illusion de posséder les données nécessaires alors que ce n'est pas le cas et évite de lancer des projets irréalisables.
Comment abordez-vous chaque projet ?
Personnellement, je vis six mois dans le futur et je trouve qu'il est complexe de planifier à plus long terme avec précision, surtout dans des domaines nouveaux comme l'intelligence artificielle où l'expérience et l'expertise sont encore limitées. Même les cabinets de conseil n'ont souvent que trois à six mois d'avance. Je m'oriente donc vers une gestion de projet avec un horizon maximal de 12 à 18 mois, mais je réévalue notre feuille de route tous les trois mois. Cette approche itérative est cruciale, car elle permet de s'adapter aux nouvelles découvertes qui émergent constamment, en particulier dans les projets liés à l'IA. Par exemple, lors de travaux sur le forecasting, nous avons réalisé que l'ajout d'un simple paramètre, celui des changements de prix – les nôtres et ceux de nos concurrents en magasin – améliorerait considérablement la précision de nos prédictions. De plus, une récente innovation aux États-Unis, qui fournit des informations heure par heure sur la disponibilité des produits dans les points de vente, a profondément changé notre perception de la disponibilité sur étagère, révélant que c'était un facteur majeur impactant négativement nos ventes. Cette découverte nous a poussés à ajuster nos priorités. En résumé, il est essentiel de maintenir une certaine flexibilité pour adapter dynamiquement nos roadmaps.
Quelle posture défendez-vous par rapport à l’implémentation de l’IA dans les COMEX ?
Jusqu'à présent, nous avons abordé l'implémentation de l'IA par fonction spécifique, telle que pour le marketing, les ventes ou la négociation commerciale. Nous observons actuellement que l'IA déployée au niveau des filiales est suffisamment mûre et à l’échelle pour pouvoir être utilisée au niveau du siège, marquant ainsi sa progression dans la hiérarchie de l'entreprise. Nous coordonnons les initiatives fonctionnelles sous un "chapeau" transversal au niveau du COMEX. Les données nécessaires à cette vue transversale et globale sont déjà en notre possession. L’approche la plus efficace pour obtenir des données fiables et utilisables est de commencer par les collecter et les valoriser à l'échelle locale, dans les pays, avant de les élever à un niveau supérieur. Cela permet une meilleure contextualisation des données au sein de l'organisation.
Comment mesurez-vous l'impact environnemental de l’activité ?
Pour accompagner efficacement la mesure de notre impact, notamment environnemental, nous avons commencé par collecter des données que nous ne suivions pas auparavant, en particulier dans notre secteur manufacturier. La collecte de ces nouvelles données est essentielle car elle nous permet d'optimiser nos processus. Actuellement, nous sommes dans l'obligation de développer et d'implémenter de nouveaux processus pour cette collecte de données. L'étape suivante consistera à examiner toutes les variables influençant nos indicateurs clés, comme les émissions de CO2, afin d'identifier les leviers les plus efficaces pour notre optimisation. Pour cela, l'utilisation de l'intelligence artificielle sera cruciale afin d'analyser ces vastes ensembles de données. Mon rôle spécifique est d'aider à sourcer et organiser ces données à travers plus de 70 pays et des milliers de fournisseurs. Cela nécessite une stratégie efficace de sourcing de l'information, ainsi qu'une centralisation, une structuration et une accessibilité améliorées des données pour permettre des décisions éclairées et responsables à l'échelle de l'entreprise.
Comment Pernod-Ricard aborde-t-il le Scope 3 des émissions de gaz à effet de serre ?
Notre approche du Scope 3 est primordiale, car la plupart de nos produits sont originaires de l’agriculture, où nous travaillons avec des partenaires agriculteurs ou viticulteurs, pour le cognac ou le champagne par exemple. Beaucoup de nos produits, comme le whisky ou le rhum, sont issus d’une récolte qui a eu lieu jusqu’à 30 ans plus tôt, donc il est essentiel pour nous de prévoir les attentes futures des consommateurs. Cette nécessité d’anticipation nous a amenés à aborder le sujet des émissions bien plus tôt. Nous sommes actuellement en train de développer un programme pour inciter les viticulteurs à accélérer l’adoption des pratiques d'agriculture régénératrice. Ce programme ne peut réussir que si nous prenons en compte l'équation économique propre à chaque viticulteur. Il est donc crucial de considérer la viabilité économique en parallèle de la responsabilité environnementale. Notre objectif est d'aider ces agriculteurs à identifier les meilleures combinaisons de pratiques agricoles qui leur permettront de maintenir leur viabilité économique tout en adoptant des pratiques plus durables.
Quelle est la stratégie de Pernod-Ricard en matière de gestion des talents, notamment en ce qui concerne l'intégration de compétences externes et l'utilisation de technologies ?
Chez Pernod Ricard, nous avons progressivement adopté une approche mixte pour la gestion des talents, combinant les compétences de nos équipes internes avec le recours à des freelances. Cette stratégie répond en partie au fait que la plupart des cabinets traditionnels ne possèdent pas encore les compétences spécialisées que nous recherchons. En conséquence, nous avons été amenés à former un nombre significatif de collaborateurs externes pour compléter notre main-d'œuvre interne. Par ailleurs, nous avons intégré davantage de solutions technologiques ouvertes (open-source) et de plateformes de développement à faible code (low-code), ce qui nous permet d'accélérer la mise en œuvre de nos projets. Cette évolution marque une transition notable : nous nous orientons de plus en plus vers un développement interne renforcé, tout en étant assistés par des freelances, afin de mieux contrôler et optimiser nos processus et innovations technologiques.
Quelle est votre vision concernant l'évolution des compétences au sein de l'entreprise dans les prochains mois et années ?
Il est essentiel, selon moi, que nous élevions le niveau de compétences à travers toute l'entreprise, en commençant par renforcer la culture et l'appétit pour l'apprentissage. Il est crucial de personnaliser et de cibler le développement des compétences de nos collaborateurs. Pour cela, il faut contextualiser les apprentissages avec le vocabulaire propre à l'entreprise, démontrer leur applicabilité et éviter les cas pratiques qui ne sont pas pertinents. La question principale n'est pas de savoir si l'intelligence artificielle fonctionne, mais plutôt comment elle s'intègre et fonctionne au quotidien dans nos activités. Je considère que la formation et le développement personnalisé de nos collaborateurs sont encore plus critiques que la personnalisation de nos produits pour les consommateurs. C'est par ces initiatives que notre groupe pourra tirer profit des nouvelles technologies aussi efficacement que les startups. En ce qui concerne la formation au digital, nous disposons d'un programme appelé "D-Passport", où nous avons piloté l’utilisation de vidéos avec des avatars qui permettent une traduction très rapide en 18 langues. Nous actualisons le contenu tous les six mois, et la publication prend seulement trois jours. Je pense que tous nos métiers doivent devenir un peu plus orientés vers les données, car l'accès à plus d'informations enrichit et améliore notre prise de décision et nos processus.
“Une donnée de bonne qualité est une donnée qui est régulièrement utilisée”
Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération