témoignage Triple accélération

La donnée doit servir la culture de l'entreprise, et non l'inverse

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Gonzague de Pirey
Chief Omnichannel and Data Officer
LVMH
Franck Le Moal
Group Information / Technology Director - CIO
LVMH

Sommaire de l'ouvrage

Comment LVMH accélère sur les sujets de l'intelligence artificielle et des technologies émergentes, tout en tenant compte des enjeux liés à l’humain et à l’environnement (durabilité, organisation …) Un challenge aux multiples facettes qui doit être garant d’un savoir-faire unique, au cœur de la créativité et de l’identité du groupe.

Comment LVMH anticipe l'évolution des interactions au sein de l'entreprise pour répondre aux exigences en matière de durabilité et de reporting ?

GP : LVMH se doit effectivement d’anticiper ces évolutions et de se projeter dans le « Next ». Les enjeux à venir sont de taille, en particulier avec les perspectives imminentes de la mise en place de la CSRD. D'ici la fin de l'année, les entreprises devront aborder la question de la double matérialité, ce qui les place dans une perspective de deux à trois ans pour une implémentation complète. Ce qui est particulièrement intéressant dans la démarche CSRD en général, c'est l'implication recommandée dès le départ des instances de gouvernance telles que les conseils d'administration. Les comités RSE ainsi que les comités d'audit et des risques sont désormais encouragés à tenir des séances communes, favorisant l'échange de données et l'alignement stratégique, conformément aux attentes du législateur européen. Cette nouvelle dynamique est de nature à influencer toute l'organisation. La granularité et les mesures spécifiques suivront, avec la mise en place de plans d'action précis autour de 2024-2025.

FM : Notre conviction est que les données doivent être considérées de manière transversale à travers l'ensemble de l'entreprise. Historiquement centrées sur la relation client, les enjeux liés aux données s'étendent désormais à tous les aspects de la chaîne de valeur, du développement à la production, en passant par la distribution, les opérations, la logistique,la finance, et bien sûr, la relation client. Deux domaines émergent comme centraux dans l'utilisation croissante des données : les opérations industrielles et l'environnement / développement durable. Cela annonce l'émergence des rôles de data officers transversaux, dont l'attention se portera de plus en plus sur les questions amont et environnementales.

Collaborer avec le département des Ressources Humaines peut-il favoriser l'intégration des technologies numériques et l'adoption de l'IA ?

FM : En effet, notre collaboration avec le département RH commence à porter ses fruits. Cependant, il est important de souligner que, dans de nombreuses entreprises, le niveau de maturité des RH concernant les données, l'intelligence artificielle, et la transformation digitale reste assez limité. Chez LVMH, au contraire, nous avons la chance, depuis trois ans, de bénéficier d'une fonction RH spécifiquement dédiée à la tech, et au digital. Grâce à cela, nous avons réalisé des progrès remarquables. Sans parler d’une sensibilisation accrue et puissante de nos équipes RH au sein du groupe et dans nos maisons à l’importance de la thématique Data, IA et de sa gouvernance y compris sur les concepts de base de qualité des données.

Quel constat faites-vous en matière de gestion des données et d'intégration technologique ?

GP :  Nous n’avons pas l’ambition de devenir une entreprise guidée par les données ("data-driven"), non pas parce que c'est inatteignable, mais parce que je ne le juge pas pertinent pour notre modèle d'entreprise. LVMH est animé par la créativité. Nos quatre piliers commencent par la création. Néanmoins, les données jouent un rôle de soutien dans tous les autres aspects, ce qui diffère grandement d'une culture purement "data-driven". La donnée doit servir la culture de l'entreprise, et non l'inverse.

FM : De la même manière, nous ne sommes pas "tech-driven". Notre objectif n'est pas de laisser la technologie ou les données dominer notre démarche, mais plutôt de les utiliser pour enrichir, amplifier et soutenir nos métiers traditionnels et nos talents humains. Ainsi, nous sommes plutôt « tech-addict »  pour améliorer leur performance, leur efficacité et maintenir notre leadership, en restant fidèles à nos spécificités et à nos valeurs fondamentales.

Comment LVMH intègre les technologies émergentes ?

FM : Pour nous, les technologies émergentes comme l'intelligence artificielle,l'IoT, et la blockchain sont fondamentales et revêtent une importance cruciale. Nous anticipons aussi qu'elles joueront un rôle prépondérant dans la gestion des enjeux environnementaux, qui vont s'imposer avec une force accrue. Elles soutiennent nos valeurs d'unicité et d'authenticité, affirmant que nos produits sont uniques, conçus avec un savoir-faire exceptionnel et des matières premières rares. Ainsi, dans un monde de plus en plus numérique, ces technologies deviennent un pilier essentiel, agissant comme des vecteurs autoportants de certification pour nos engagements environnementaux. Sur ces sujets, nous nous positionnons dans une phase de "Next", en nous engageant dès à présent dans ces technologies, même si leur généralisation prendra du temps. Nous sommes déjà en avance, ayant été parmi les pionniers, notamment avec nos magasins qui réalisent des inventaires en temps réel grâce au NFC et au RFID. De plus, notre engagement dans la blockchain, (avec la création et la montée en puissance forte du consortium Aura Blockcchain lancée en 2018 avec nos « collégues » de Prada Group, OTB et Richemont) reste ferme, et nos certificats numériques commencent à être reconnus, notamment par le CIR PASS et la législation européenne. Cette adoption précoce de la blockchain par presque tous les acteurs de l'industrie du luxe n'est pas un hasard. Pour nous, l'importance de la traçabilité et du suivi des produits, appuyés par des certificats numériques, est fondamentale.

Comment concilier objectifs court terme et planification stratégique à long terme ?

FM: On constate qu’actuellement l’accent est trop excessivement mis sur l’action et l’attente de résultats court terme, alors qu’il est impératif de se projeter au-delà de l'immédiat. De nombreuses entreprises se sont ainsi égarées, faute d’avoir défini et suivi, en parallèle, une trajectoire durable. Elles se retrouvent également en difficulté pour faire face aux défis à venir, qui nécessitent, bien souvent, des mois ou des années de planification et d'exécution. L'approche “end-to-end”, qui établit un lien entre le présent (« now ») et l'avenir (« next »), est donc cruciale pour apporter une réponse adéquate aux différents enjeux d'entreprise et notamment concernant les sujets liés à l’environnement et à la transformation digitale, où l’on est plutôt sur une temporalité de changement à 3/4 ans. Il s’agit de se poser les bonnes questions très en amont : Comment allons-nous adopter et intégrer l’IA ? Comment certaines entreprises choisiront-elles une voie, tandis que d'autres emprunteront des chemins différents et en quoi cela sera-t-il, potentiellement, un argument compétitif ? Etc..

GP : Pour s’assurer de la cohérence d’ensemble, nous tâchons d’élaborer une feuille de route qui identifie et rassemble nos projets à impact à court terme (12 mois), moyen terme (24 mois) et long terme (36 mois). L’adoption de cette approche séquentielle sur 1, 2 et 3 ans, permet ensuite de déterminer le temps nécessaire pour atteindre les objectifs selon chaque thématique.

Quelle est la vision stratégique du Groupe LVMH  ?

GP : Deux aspects fondamentaux sont à souligner. Premièrement, les décisions et orientations qui définissent le Luxe, telles que formulées par notre président fondateur il y a 25 ans, demeurent au cœur de notre stratégie. Deuxièmement, le caractère familial de notre entreprise joue un rôle prépondérant, puisque la vision stratégique du groupe repose essentiellement sur celle du fondateur M. Arnault.
FM : Aussi, il est fort probable que nos fondamentaux ne changeront pas dans la décennie à venir, avec quatre piliers : la création, l'expérience, le savoir-faire et la rareté. Ces piliers sont les fondations qui soutiennent notre stratégie et nos actions. La vision stratégique est ensuite adaptée et appliquée spécifiquement au sein des différentes Maisons ou divisions du groupe et ce, à différentes échelles géographiques, nationales et internationales. Aussi, pour revenir à cette notion de double temporalité “Now / Next”, il est important d’acter que la conduite de projets de transformation exige du temps pour être mise en œuvre à l'échelle de nos Maisons et régions, compte tenu de la nécessité d'assimilation. Délimiter présent et avenir est parfois  complexe, puisque les efforts actuels de transformation nous guideront pendant plusieurs années, que ce soit dans le cadre d'une refonte de stratégie omnicanal, de l’évolution de nos plateformes backend ou de digitalisation de nos processus au service de nos designers / créateurs.

Comment LVMH aborde la transversalité des thématiques environnementales et numériques ?

GP : Il n'y a pas de prédominance de l'une sur l'autre et il existe une politique générale englobante ("overarching policy") qui guide nos actions tant dans le domaine de l'écologie que du numérique. Cette politique est ensuite adaptée pour répondre aux besoins spécifiques de chaque métier et Maison puisque par exemple, les défis environnementaux sont radicalement différents entre nos secteurs, tels que la beauté et la maroquinerie.

FM : De plus la durabilité deviendra une question encore plus transversale et fondamentale puisque, contrairement aux données personnelles, qui sont réglementées spécifiquement en Europe, les questions « Environnement » seront encadrées par une réglementation globale impactant toutes les grandes entreprises internationales. Cela est dû aux nouvelles normes telles que la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui imposent une évaluation de la durabilité des entreprises. Aussi, que ce soit dans le cadre de la CSRD ou d'autres initiatives, notre approche organisationnelle promeut toujours une certaine forme d’autonomie de nos maisons , mais  encourage de façon croissante harmonisation, synergie, co-développement,  la collaboration et le travail en mode agile notamment sur tous nos sujets Tech, Data et sujets digitaux.

Quels sont les principes directeurs de l'IA chez LVMH ?

GP : À l'heure actuelle, l'application de l'IA chez LVMH s'articule principalement autour de trois axes : le conseil aux clients ("customer advisory"), l'optimisation de nos sites e-commerce, et l'amélioration de notre chaîne d'approvisionnement. Parallèlement, nous explorons le potentiel des IA génératives, un domaine que nous considérons comme étant notre "Next", sans pour autant délaisser nos applications actuelles. Nous avons identifié quatre domaines où nous souhaitons établir des priorités commerciales, couvrant à la fois les sujets existants et de nouveaux territoires tels que le design de produit, le développement de produit, et le marketing d'actifs. Cette expansion inclut un focus accru sur l'utilisation de l'IA pour soutenir le côté créatif de notre activité. C’est aussi l’'investissement dans une IA qui offre une valeur ajoutée unique est une expression claire de nos valeurs de luxe, notamment l'intemporalité.

Par ailleurs, une dimension cruciale de notre approche est l'intégration responsable et centrée sur l'humain de l'IA au sein de notre entreprise. Nous sommes fermement engagés dans une vision où l'IA n'est pas perçue comme un substitut à l'humain, mais comme un outil d'augmentation de nos capacités. Cela se traduit par une sélection très spécifique de technologies et de partenariats, reflétant notre engagement envers une IA responsable. Cette orientation implique une considération sérieuse de trois aspects fondamentaux : la conformité juridique, l'éthique, et la durabilité. Ces choix ne sont pas de simples déclarations philosophiques pour embellir une présentation ; ils sont au cœur de notre stratégie. Nous sommes convaincus que cette approche, qui peut être minoritaire aujourd’hui, prévaudra à long terme, et nous sommes fiers de participer au programme Human-Centered AI de Stanford, reflétant cet engagement.

Quels sont les impacts de l’intégration de l’IA au niveau des infrastructures ?

FM : Le sujet de l'intégration de l'IA et le passage à l'industrie et aux opérations 4.0 revêtent une importance croissante pour nous, notamment à la lumière d'un constat assez révélateur : au cours de la dernière décennie, la majorité des entreprises n'ont pas suffisamment investi dans leur infrastructure de back-end. La raison derrière ce sujet est en partie due à une emphase prononcée sur le digital, l'omnicanalité, et le marketing, or, beaucoup de ces infrastructures back-end datent d'au moins dix à quinze ans, y compris au sein du groupe LVMH. Pas de Retail, d’omnicanal, d’applications Front Office performants sans des plateformes Backend, Supply et Logistiques modernes, Cela sera encore renforcé avec l’introduction de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), qui va imposer la mise en place de nouvelles plateformes de reporting et d'analyse nouvelles. Ces plateformes, potentiellement orientées vers la finance, nécessiteront des back-ends extrêmement robustes pour le suivi de l'approvisionnement, de la production, et de la supply chain, et cela va requérir des investissements significatifs. La démarche actuelle est donc de réorienter notre attention vers ces infrastructures de back-end et de développer une stratégie intégrée qui englobe la technologie, les données, et les plateformes de reporting.
Ce processus prendra du temps, le déploiement de nouveaux ERP et/ou applications Amont type PLM, ou intégration Suppliers demande de la constance. Cela souligne aussi l'importance cruciale de disposer d'expertises solides en matière de données, capables de piloter ces transformations. À l'heure actuelle, les plateformes nécessaires à cette évolution n'existent pas encore, ce qui nous oblige à repenser nos fondamentaux indépendamment de notre environnement technologique actuel.

Comment LVMH perçoit l'intégration de l'intelligence artificielle au sein de son comité exécutif (comex) ?

GP : Pour LVMH, l’intelligence artificielle n'est pas du tout perçue comme un élément de science-fiction, mais plutôt comme une évolution naturelle et souhaitée. Les dirigeants de l'entreprise sont activement encouragés à s'équiper et à se familiariser avec ces technologies afin d'améliorer leur prise de décision et leur efficacité. Contrairement à une crainte répandue selon laquelle l'IA pourrait remplacer le jugement humain au sein de la stratégie d'entreprise, notre approche est radicalement différente. Nous voyons l'IA comme un outil permettant à nos dirigeants de se surpasser et de renforcer leurs capacités. L'idée n'est pas de craindre l'IA, mais de s’en emparer et de l'utiliser comme un moyen d'améliorer notre leadership et notre vision stratégique.

Le groupe LVMH dispose-t-il d'une marketplace de données, et comment celle-ci est-elle utilisée pour soutenir vos initiatives d'IA et de data science ?

FM : En effet, nous développons activement notre propre marketplace de données, connue sous le nom de ATOM. Cette plateforme est conçue pour faciliter le déploiement de nos solutions d’intelligence artificielle et le partage de l’intelligence que nous pouvons extraire des données de nos différentes Maisons (sans partager les données finales elles-mêmes qui restent la propriété de nos maisons). L'objectif d'ATOM est de promouvoir l'utilisation de données propres et bien gérées, une condition préalable essentielle pour le succès de toute initiative d'IA. Le respect de la qualité des données, des principes fondamentaux de gouvernance et la mise en place de lacs de données structurées constituent le cœur de notre démarche. Nous formons les collaborateurs à exploiter ces ressources de manière autonome, en respectant certaines règles, pour qu'ils puissent mener leurs analyses et investigations. Nous nous éloignons ainsi du modèle traditionnel où les rapports et les analyses sont figés et inamovibles. Le concept de self-service, appuyé par une formation adéquate des utilisateurs, est clé pour nous. De plus, ATOM est une plateforme évolutive, destinée à s'enrichir continuellement de nouveaux algorithmes ou composants Tech.
Nous franchissons actuellement un cap important en permettant non seulement aux utilisateurs d'explorer ces données mais aussi d’approfondir leurs compétences, notamment en codage et en Python, permettant d’accéder à des niveaux d’analyse encore plus poussés.

Comment LVMH envisage la personnalisation à grande échelle pour améliorer l'expérience client ?

FM : Le concept de personnalisation à l'échelle, ou le retour au dialogue individuel avec chaque client, constitue, en quelque sorte, le mythe fondateur de notre démarche actuelle. L'objectif est d'offrir une communication et des produits uniques au sein d'un univers de marque également unique. Nous envisageons donc d'introduire de plus en plus de contenus personnalisés dans nos communications, la tendance étant aujourd’hui à diffuser la même campagne d'email marketing à plusieurs milliers de personnes sans distinction. Notre vision pour l'avenir est donc de rendre cette communication nettement plus personnalisée. Nos investissements Tech actuels rendent déjà possibles la création de produits personnalisés, d’univers de services personnalisés. Tous les jours, nos vendeurs engagent leurs clients avec des apps ou la personnalisation de l’échange est déjà avérée. Data, IA, Gen IA, Digital Product Passport vont nous permettre d’amplifier cela encore plus.

GP : Nous nous situons par conséquent à la croisée des chemins entre le présent ("Now") et l'avenir ("Next"), où nous déployons dès à présent nos efforts de personnalisation à grande échelle, sur grands marchés, notamment en Asie et en Amérique du Nord. Ces projets marquent le début d'un engagement vers une personnalisation plus poussée, préfigurant une mise en œuvre graduelle, maison par maison, marché par marché. Il est important de noter toutefois, que ce processus requiert du temps et l'adhésion de nombreuses parties prenantes au sein de notre organisation.

Comment LVMH accompagne l'évolution des métiers ?

GP : L'accompagnement de l'évolution des métiers est une priorité absolue pour nous, et cela revêt une importance cruciale tant pour le présent ("Now") que pour l'avenir ("Next"). En effet, au-delà de cette essence immuable de la marque, nous explorons des stratégies de personnalisation adaptées à chaque marché, en utilisant des canaux de communication spécifiques et en ajustant notre ton de voix tout en veillant à ce qu'il reste aligné avec l'identité de la marque. Cette approche nécessite un équilibre subtil, particulièrement dans le secteur du luxe, où l'interaction entre l'universalité de la marque et sa capacité à s'adresser de manière personnalisée et pertinente à différents publics locaux est plus complexe qu'ailleurs. Il s'agit donc d'un chantier à la fois stratégique et délicat, essentiel pour assurer que nos marques restent à la fois cohérentes dans leur identité et réactives aux spécificités de chaque marché.

Si l’on aborde maintenant le thème de la transformation durable, comment LVMH intègre la notion de Scope 3 dans ses stratégies ?
GP : L'approche de LVMH sur la transformation durable, formulée dans notre programme Life360, est une approche résolument intégrale, en intégrant nativement le Scope 3. Cet engagement témoigne de notre volonté de minimiser notre impact environnemental au-delà de nos activités directes, en impliquant fournisseurs et clients dans cette démarche de durabilité.
Par ailleurs, notre approche en matière d'économie circulaire s'articule principalement autour de concepts tels que le remplissage (refill), la réparation, et la garantie à vie des produits, en mettant un accent particulier sur la notion de "care". C'est une direction stratégique délibérée du groupe de privilégier la réparabilité et la durabilité des produits. Nous adoptons une interprétation spécifique de l'économie circulaire, où la réparabilité est mise en avant. Contrairement à d'autres, nous n'accentuons pas l'aspect de la seconde main, mais plutôt celui de la transmission de valeur.

Quel est le rôle des consortiums pour LVMH dans sa stratégie environnementale ?

FM : Nous croyons fermement que la question environnementale et la durabilité seront au cœur de la formation de consortiums. Qu'ils soient technologiques, comme AURA Blockchain Consortium, ou de marques, ils joueront un rôle crucial en unissant les entreprises autour de défis communs liés à des secteurs spécifiques. À l'avenir, les acteurs qui se démarqueront dans l'industrie du luxe, et au-delà, seront ceux capables de former des alliances sectorielles et de créer des consortiums par filière. Cela ne signifie pas nécessairement l'adoption des mêmes technologies, mais plutôt l'union autour de causes communes.
GP : Cette réalité est déjà bien présente dans les industries du champagne et du cognac. Les viticulteurs et les grandes maisons de Cognac ont par exemple uni leurs forces pour adopter des pratiques agricoles durables, sans lesquelles l'ensemble du secteur serait en péril.

Comment LVMH intègre les startups axées sur le digital et l’environnement ?

GP : Lors de l'événement VivaTech par exemple, LVMH met en avant son engagement envers la durabilité avec une catégorie dédiée, où toutes les startups présentes sont soigneusement sélectionnées pour leur contribution à ce domaine. Cette démarche souligne l'importance que nous accordons à l'identification et au soutien des startups qui partagent notre vision de la durabilité.

FM : Le véritable défi avec les start ups, y compris celles  spécialisées dans des domaines Green IT tels que GreenSpector ou Resilio réside dans la capacité de ces entreprises à passer à l'échelle : le cœur du problème est de savoir comment ces innovations peuvent être amplifiées et intégrées de manière durable dans nos chaînes de valeur. L'enjeu de l'évolutivité est donc crucial pour nous, et requiert des investissements conséquents ainsi qu'une vision stratégique claire pour l'ensemble de la filière.

GP : Et c'est précisément pour relever ce défi que nous avons créé Gaïa, notre initiative dédiée à la durabilité, qui consacre 80% de ses efforts à des projets à impact significatif et à long terme. A l’instar de l’approche de l’innovation chez LVMH, Gaïa adopte une approche scientifique holistique en combinant des partenariats académiques, le soutien à des startups innovantes, la participation à des consortiums industriels majeurs, ainsi que le travail de nos propres centres de recherche et développement. Cette synergie entre différents acteurs est essentielle pour accélérer le développement et l'intégration de solutions durables au sein de notre groupe. Actuellement, l’essentiel de nos projets en cours chez Gaïa visent un impact environnemental positif, démontrant notre engagement à promouvoir la durabilité à travers l'innovation et la collaboration.

Comment LVMH promeut une culture de l'apprentissage continu et de l'innovation?

GP : La collaboration et la co-localisation de nos équipes par thématiques sont des éléments clés de notre approche. L'exemple concret de cette stratégie est notre choix délibéré de placer les équipes travaillant sur des sujets similaires dans un espace partagé, favorisant ainsi l'échange d'idées et la synergie. Ce modèle, que nous avons récemment adopté dans nos nouveaux locaux, symbolise notre engagement envers une organisation apprenante où le partage de connaissances est facilité et encouragé.

Nous sommes, par ailleurs, dans une quête constante d'excellence, où, à l'instar d'un artiste ou d'un acteur qui remet son travail en question à chaque nouvelle œuvre ou représentation. Nous nous efforçons donc continuellement d'innover et de repousser les limites. Cette culture de remise en question permanente et d'amélioration continue est fondamentale pour maintenir notre leadership et notre avance en matière d'innovation.

De plus, la création est un processus complexe, et ce processus peut désormais être assisté par l'intelligence artificielle (IA) à chaque étape. L'IA peut offrir un soutien précieux dans le développement de nouvelles idées, l'optimisation des designs, et l'amélioration de l'efficacité de nos méthodes de création. En intégrant l'IA dans notre démarche créative, nous augmentons notre capacité à innover, tout en préservant les valeurs fondamentales de l'artisanat et du savoir-faire qui définissent le luxe. Cette synergie entre la créativité humaine et la puissance de l'IA permet de repousser les limites de ce qui est possible, tout en restant fidèle à notre quête d'excellence et d'innovation.

Quels sont les principaux risques externes identifiés par LVMH ?

FM : Les enjeux géopolitiques occupent une place prépondérante, surpassant les problématiques liées à la chaîne d'approvisionnement. Notre groupe bénéficie d'une certaine résilience et d'une diversification géographique qui nous protègent jusqu'à un certain point. Cependant, nous restons particulièrement vigilants aux tensions et évolutions géopolitiques, qu'elles soient américaines, européennes, chinoises, asiatiques ou émiraties, en raison de leur impact potentiel sur notre activité. Nous entrons aussi dans une nouvelle ère qui va se caractériser par l’affrontement de souveraineté Tech croissante notamment entre les Etats Unis et la Chine avec une Europe très en retard mais active sur de nouvelles régulations impactantes pour des grands groupes comme les nôtres

GP : Les questions environnementales et celles liées à la chaîne d'approvisionnement sont intrinsèquement liées pour nous. Nous devons garder à l'esprit notre rôle de cultivateurs et d'artisans, pour qui les conditions environnementales sont déterminantes.

FM : Néanmoins, je prévois que, dans un avenir proche, les risques environnementaux surpasseront ceux associés à la chaîne d'approvisionnement en termes d'importance. L'enjeu environnemental est crucial pour LVMH, tant pour notre image de marque que pour la continuité et la viabilité de notre business, notamment en ce qui concerne nos vignobles ou certaines de nos matières et certains de nos savoirs faires. Je pense donc que les risques liés à l'environnement et à la durabilité représenteront notre principal défi à relever. Notre structure décentralisée et notre diversité sont des atouts qui contribuent à notre résilience face à ces risques.


Et quels sont les principaux risques internes identifiés ?

GP : Un des grands défis pour nous est la préservation des savoir-faire qui sont dans les mains de nos artisans. Compte tenu du temps nécessaire pour former ces artisans, qui peut prendre jusqu’à une décennie, le groupe prend des mesures proactives et intensives, notamment à travers l'investissement dans les métiers d'art et les ressources humaines. Nous mettons en place des stratégies de recrutement et de formation ambitieuses.

FM : Pour répondre à ces défis, un investissement massif dans les ressources humaines est en cours pour faciliter le recrutement. Chaque Maison du groupe possède sa propre école ou initiative de formation pour cultiver et perpétuer son savoir-faire unique. Cette approche vise à préserver l'excellence et la qualité qui sont au cœur de l'identité et du succès de LVMH, assurant ainsi la transmission des compétences et la pérennité de nos traditions artisanales. La tech n’est pas absente de cela : digitalisation des savoir-faire , e-learning, Plateformes collaboratives sont là pour faciliter et amplifier ces approches.

“Il est nécessaire de développer une approche ‘end-to-end’ qui établit un lien entre le présent et l’avenir pour apporter une réponse adéquate aux différents enjeux d’entreprise.”

Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération

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