Comment la transition écologique peut être accélérée alors que les contraintes économiques et sociales sont déjà très fortes ?
Il faut montrer qu’il s’agit d’une opportunité plus que d’une contrainte et que cela peut être un facteur de rentabilité. Il est nécessaire de rendre la transition écologique intéressante au sens économique du terme, à la fois pour les entreprises et les individus. L’intérêt économique peut alors constituer un important facteur d’accélération. Cela demande certaines démarches fiscales, notamment pour rendre cette économie décarbonée aussi rentable que possible, comme la modulation des taux d’intérêt selon le type d’investissement.
Que pensez-vous de la notion de “justice climatique”?
Je pense qu’on conçoit toujours cette justice climatique en termes de réparation et c’est important. Mais il faut aller plus loin que cette logique de réparation, d’indemnisation... Il faut aussi se demander comment faire pour que les investissements de la transition ne soient pas uniquement réservés aux pays industrialisés. Pour cela, il faut notamment donner des garanties pour ceux qui souhaitent investir dans les « pays du sud ». Il ne faut pas créer une nouvelle fracture.
Comment les entreprises peuvent-elles s’adapter au changement climatique ?
Les impacts liés au changement climatique ne se résument pas à la vulnérabilité des sites de production. Cela va notamment amplifier la pénibilité de certains métiers (agriculture, bâtiment...) ou encore influencer le chiffre d’affaires, en fonction des températures. Je prends l’exemple d’un brasseur comme Heineken, il a une variation de 15% pour son chiffre d’affaires, pour un degré de variation de la température moyenne. Il y a donc un enjeu d’adaptation, pour voir comment l’ensemble de la chaîne de valeur va être directement impactée par les changements climatiques. On peut même prendre l’exemple du Tour de France : sera- t-il encore raisonnable d’organiser une telle compétition en pleine journée, sous de fortes chaleurs ? Faudra-t-il donner le départ des étapes l’après-midi pour avoir des arrivées en soirée ? Ce qui aurait des conséquences sur les horaires de diffusion à la télévision. On voit bien que cela engendre des conséquences en cascade.
Quelles évolutions observez-vous du côté des grandes entreprises ?
Des choses importantes sont en train d’être mises en place. Il y a notamment des processus industriels qui se font décarboner à vitesse grand V comme dans les secteurs de l’acier ou de la chimie. Il y a toute une série d’innovations techniques et technologiques qui est appliquée dans le secteur de l’automobile (voiture électrique). De façon plus globale, de nombreuses entreprises revoient leur modèle d’affaires... Toutefois, la politisation ou l’idéologisation croissante de ces questions semble dangereuse. Aux États-Unis, par exemple, la RSE est considérée comme quelque chose de très idéologique... En Europe, les politiques de transition sont remises en question. Et le risque, c’est que les entreprises s’arrêtent parce qu’elles souhaitent se tenir à l’écart de certaines polémiques.
Comment évolue également le secteur de la finance durable ?
Il y a aujourd’hui un problème avec la finance durable du fait que trop peu d’entreprises et organisations souscrivent à de la finance d’impact. Un travail de sensibilisation est donc nécessaire, que ce soit auprès des fondations ou des entreprises privées pour qu’elles aient une vision plus claire de ce dans quoi elles peuvent investir. Il y a aussi un enjeu d'accroître la rentabilité de ce type d’investissement.
Comment aborder la convergence entre accélération durable et digitale ?
Il est important de mener de pair l’accélération IA et digitale avec l’accélération durable. Beaucoup d’entreprises voient l’intégration de l’IA comme un enjeu dont ils doivent se saisir pour ne pas rester à quai, mais ne sont pas toujours dans le même état d’esprit vis-à-vis du développement durable.
Est ce qu'on pourrait dire que la CSRD est l'occasion de réconcilier data et impact ?
Tout à fait ! Selon moi, la CSRD représente une transformation fondamentale du rôle de l'entreprise dans la société. Ce n'est pas juste une question de comptabilité. C'est aussi un nouveau regard : comment va-t-on juger la performance des entreprises ? Cela remet en question les modèles de croissance et de décroissance et introduit de nouveaux indicateurs de performance.
Est-ce qu’il y a véritablement une “génération climat” ?
Au regard des études, pas vraiment : toutes les générations se sentent concernées par les questions environnementales. Toutefois, la particularité de la génération Z est qu’elle a davantage de connaissances, même si cela ne veut pas dire forcément davantage d’engagement.
Pourquoi les jeunes talents montrent un intérêt certain pour les métiers à impact ?
Pour beaucoup, le travail doit désormais être aligné avec ses valeurs. On bascule également d’une génération où les carrières étaient linéaires, aux jeunes d’aujourd’hui qui n’envisagent pas de faire toute leur carrière dans la même entreprise. Pas étonnant donc qu’il y ait un taux de démission en France de plus en plus fort. Les employés sont de plus en plus exigeants vis-à-vis de leur employeur, et une de ces exigences, c'est évidemment que leur travail ait du sens et qu’il soit rémunérateur.
Quelle est votre vision à horizon 2030 ?
Je pense que la période difficile, elle est surtout entre maintenant et 2030. C'est une période charnière où il faut que la bascule se fasse et cela crée parfois des tensions, exacerbe certaines difficultés … Je reste intimement optimiste quant au fait qu'on puisse atteindre la neutralité carbone - ou à peu près - d'ici 2050. Les enfants qui naissent maintenant verront donc, à leur 25 ans, lors de l’entrée dans la vie active, ce problème résolu.
Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération