Michael Miramond, IBM France : “L’exploitation de la dark data ouvre un champ des possibles incommensurable aux retailers”
Maud Vincent, Rédactrice en chef, HUB Institute : Si le big data était ces dernières années le buzzword du marché, l’intelligence artificielle a pris le relais depuis un an : en une phrase, quelle est leur différence ?
Michael Miramond, Directeur Retail, Luxe & PMG d’IBM France : Le big data est essentiellement basé sur des modèles d’historiques de données alors que l’intelligence artificielle se fonde sur des modèles prédictifs qui appréhendent des données exogènes non structurées que l’on n’exploitait pas auparavant et qui vont désormais permettre aux distributeurs de réagir en temps réel. Ces données non structurées, telle que les vidéos par exemple, sont fondamentales pour accroître la connaissance client. On sait que d’ici 2020, 80% de la donnée sur internet sera composée de flux vidéo. En exploitant ces données non structurées, qu’on appelle aussi “dark data”, les retailers vont ouvrir un champ des possibles encore largement inexploré aujourd’hui.
M.V. : Quels sont les bénéfices concrets qu’apporte l’IA aux retailers ?
M.M. : Pour un retailer, l’intelligence artificielle repose sur 3 éléments principaux :
- l’engagement avec le client : comment j’exploite l’intelligence artificielle pour interagir avec mon client, que ce soit au travers d’un chatbot, en magasin, sur mobile ou sur internet, mais aussi comment j’aide l’employé avec l’IA pour conseiller le client de la manière la plus pertinente possible ;
- la partie décisionnelle : de quelle manière j’exploite l’ensemble des données, structurées ou pas, pour réagir en temps réel et prendre la meilleure décision que ce soit en termes de merchandising, de logistique, d’approvisionnement… Cette partie décisionnelle est fondamentale ;
- l’aide à la création de produit : il ne s’agit pas là de remplacer le créateur et le designer mais de mettre à disposition des données qui vont permettre d’augmenter la capacité de ces personnes à créer les produits ou services les plus appropriés aux besoins du marché.
M.V. : Auriez-vous un exemple concret sur la manière dont l’IA peut aider à la création de produits ?
M.M : Nous avons mené une expérimentation en partenariat avec la marque Tommy Hilfiger et le Fashion Institute of Technology à New York dans le cadre du projet “Reimagine Retail”. On est allé rechercher des données sur les réseaux sociaux concernant les couleurs et les patterns de la marque et avons pris en compte les valeurs de l’entreprise. L’IA a aidé à créer de nouveaux patterns jamais identifiés par l’humain et, sur la base de ces patterns, le FIT a créé une collection pour Tommy Hilfiger ! Encore une fois, l’IA ne remplace pas le designer mais met à sa disposition un certain nombre de d’informations issues de données qu’il exploite soit pour créer de nouveaux modèles qui restent fidèles à la marque, soit pour personnaliser un certain nombre de produits.
M.V. : Quel est la particularité de l’écosystème retail français ?
M.M. : Parce qu’il est très saturé, le marché français est très dynamique. Face aux surfaces limitées, de plus en plus de distributeurs cherchent à se différencier par l’innovation. Dans le domaine du retail, l’innovation n’est pas que technologique mais s’entend aussi au sens du concept. On voit de plus en plus de nouveaux formats fleurir en centre-ville comme par exemple le concept de Noé de Franprix, ou les magasins de centre-ville Boulanger qui proposent, sur des surfaces considérablement réduites, un accès à l’ensemble de la gamme boulanger.
Autre exemple : les nouveaux magasins Sephora, qui sont qui sont aussi de petite surface et qui servent essentiellement à présenter en point de vente des produits qui seront ensuite commandés sur internet.
C’est donc un marché très dynamique et nous organisons d’ailleurs chez IBM un "store tour" à Paris chaque année au mois de septembre car on estime que Paris n’a pas à rougir face à Manhattan. Nous pouvons y voir fleurir de nouvelles tendances de fond tels que le magasin comme lieu de vie et comme vecteur d’une expérience d’achat innovante pour le consommateur
M.V. : On dit de la voix qu’elle sera le prochain segment où le retail va le plus fortement croître : partagez-vous cet avis ?
M.M. : Oui complètement ! Je suis convaincu que la voix va prendre une dimension phénoménale dans le retail. La voix est déjà arrivée chez nous à travers la domotique – on peut allumer ou éteindre ses lumières en conversant avec son téléphone. Et justement, si je crois beaucoup à la voix, je crois beaucoup moins aux outils pour l’exploiter (Alexa, Google Home & co). Je pense que le téléphone sera le bon véhicule versus les enceintes connectées. A partir du moment où le téléphone permettra d’exploiter la voix de manière suffisante, alors il deviendra l’outil majoritairement exploité.
Il est intéressant d’observer la lutte acharnée que fait naître l’économie vocale : la voix crée des nouveaux marchés fortement concurrentiels. En effet, à partir du moment où l’on interroge par la voix, l’éventail des produits qui vous est proposé est moins large qu’une liste classique sur internet. On voit très bien ce que fait Amazon avec Alexa aujourd’hui : si vous voulez commander des piles sur Amazon via Alexa, on vous proposera des batteries de 6 ou 12 piles Amazon, un point c’est tout ! Il n’y a absolument aucune référence aux autres marques de piles lorsque vous commandez vocalement. Amazon a choisi la voix comme vecteur de sa propre marque.