témoignage Triple accélération

L’ouverture vers l’écosystème des start-ups est crucial pour soutenir la notre transformation

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Anne-Virginie Dissard
Directrice RSE et communication corporate
KINGFISHER
Romain Roulleau
Chief Marketing, Digital & Customer Officer & Strategy
KINGFISHER

Sommaire de l'ouvrage

Chez Kingfisher, la triple transformation du Groupe se traduit par une mobilisation collective, que ce soit en informant et en sensibilisant collaborateurs et clients aux gestes durables, ou en formant les équipes aux enjeux Data et IA. C’est aussi une démarche de décentralisation qui a été engagée, pour accorder un plus grand pouvoir décisionnel au niveau local.

Comment procédez-vous à l'évaluation de votre empreinte carbone ?

A-V.D : La consommation d'énergie et l'impact carbone de nos bâtiments, qui sont les aspects les plus simples à mesurer, ont déjà fait l'objet d'initiatives de réduction lancées par l'entreprise il y a plus de 10 ans. Cependant, la majeure partie de notre impact (environ 90%) provient de nos produits. Nos équipes RSE travaillent donc actuellement pour affiner au maximum les données concernant l’empreinte carbone des produits et bâtir des trajectoires de décarbonation. Etant donné la diversité des matières premières et le fait que nous gérons plus de 70 000 références, ce projet est titanesque ! C’est néanmoins un préalable essentiel pour poursuivre la transformation de notre offre. La gestion des données est cruciale pour décomposer chaque produit : poids de chaque matière, source d'énergie utilisée par l'usine de fabrication … Mais l’empreinte carbone n’est pas le seul critère sur lequel nous travaillons, nous travaillons également depuis une quinzaine d’années sur les économies d’eau, l’intégration de matières recyclées ou l’impact sur la qualité de l’air de nos produits. Pour un distributeur dont le métier initial était de sélectionner des produits sur des critères de prix et de qualité, cela a demandé d’introduire de nouvelles dimensions dans ces choix.

Comment  sensibilisez-vous les équipes aux enjeux environnementaux et sociaux ?

A-V.D : Notre approche clé en matière de formation et de sensibilisation repose sur l'engagement de nos équipes mais aussi de nos fournisseurs. Il est essentiel d’avoir une approche pédagogique pour leur partager les enjeux environnementaux et sociaux. Nous nous efforçons de leur donner du sens et de susciter leur intérêt. Si la Direction RSE doit donner l’impulsion, il est essentiel que ces dimensions entrent peu à peu dans les métiers de chacun. En l'occurrence, ce sont les équipes marché, qualité et achat qui sont en première ligne avec les fournisseurs et les fabricants. Il est donc crucial qu'ils comprennent l'importance et les implications de ces enjeux pour leur propre métier, afin qu'ils puissent agir de manière informée et engagée.

Comment intégrez-vous cette transformation durable au sein de la chaîne d'achats et d'approvisionnement ?

A-V.D : La gestion de notre chaîne d'achats et d'approvisionnement chez Kingfisher commence par une étape fondamentale : la formation de nos équipes  à nos politiques RSE qui sont très exigeantes. Là encore, la première étape est de donner du sens, d’expliquer comment ces politiques s'intègrent dans notre stratégie, et en quoi ces politiques RSE constituent une démarche de résilience pour l'entreprise. Par exemple, nous sommes particulièrement attentifs à nos approvisionnements en bois. En nous assurant que celui-ci est issu de forêts gérées durablement, nous préservons une ressource naturelle essentielle pour l’équilibre de la planète et pour nos approvisionnements futurs. L’enjeu étant de partager cette vision avec les équipes pour aller au-delà de ce qui peut au premier abord apparaître comme une contrainte dans leur travail quotidien.


Votre scope 3 concerne la production mais aussi l’utilisation des produits par vos clients, comment gérez-vous cet aspect ?

A-V.D :  En effet, bien que nous ayons moins de contrôle sur cette phase comparée à la production, nous avons un rôle important de sensibilisation de nos clients pour qu'ils adoptent des pratiques moins énergivores. Nous consacrons donc beaucoup d'efforts à produire du contenu pédagogique aligné avec notre stratégie de marque, notamment sur les gestes simples et les actions plus structurantes comme la rénovation énergétique. Ce travail de contenu est accompagné de formations pour nos équipes en magasin et est également proposé en format digital sur notre site internet.
Nous commençons par ailleurs l'exploration des impacts liés aux déplacements des clients, bien que cette dimension ne soit pas prédominante pour nous. Nous avons lancé une enquête interne sur les trajets domicile-travail et envisageons d'étendre cette étude à nos clients.
Et nous adoptons une approche de "test and learn" concernant la communication sur nos produits, pour les aiguiller vers le choix durable. Nous avons par exemple lancé la sélection "bon + bon" chez Castorama, qui concerne environ 1000 produits, se veut un guide clair et simple pour les consommateurs avec des indicateurs tangibles.

“Il est nécessaire de mobiliser tous les niveaux de l'organisation pour embrasser de nouvelles directions”

Vous êtes-vous engagé dans  une coalition sectorielle pour répondre aux défis environnementaux ?

A-V.D : La coopération est devenue un axe stratégique pour aborder les défis environnementaux communs à notre secteur. Nous avons pour objectif de structurer un programme d'actions robuste, avec plusieurs initiatives déjà en cours. Par exemple, il y a six mois, notre directeur général a initié un groupe de travail dédié à la décarbonation des produits en collaboration avec la Fédération Européenne des enseigne du Bricolage (EDRA) et la Fédération Mondiale des Fabricants de Produits de Bricolage et d’Amélioration de la Maison (GHIN). Ce projet réunit tous les acteurs majeurs du secteur, qui partagent des défis similaires et doivent collaborer pour progresser ensemble. Je vois ce projet comme le précurseur de nouvelles dynamiques au sein du secteur, telles que l'intégration de principes de permaculture dans nos pratiques d'entreprise, transformant les externalités négatives en atouts positifs pour d'autres acteurs. Cette approche n'est toutefois pas entièrement nouvelle pour nous, puisqu’elle a commencé de manière plus artisanale avec nos pratiques de dons de produits et l'utilisation de notre réseau associatif pour créer des boucles positives.

Comment votre groupe aborde-t-il la collaboration avec l'écosystème des startups ?

A-V.D et RR : C’est un sujet qui me passionne ! Initialement, notre ouverture vers  des laboratoires de R&D et des startups était assez limitée, alors même qu’elle est cruciale pour la transformation digitale et durable de notre entreprise. Depuis mon arrivée, j'essaie d'adopter une attitude plus ouverte et des initiatives ont été lancées comme récemment avec la startup française ISIDOR, qui a développé un calculateur  permettant  à nos clients de déterminer si leur produit usagé possède encore une valeur monétaire. Après évaluation, ce produit peut être mis en vente en un clic sur la plateforme ISIDOR, qui fonctionne comme un Vinted pour notre secteur, offrant ainsi une possibilité de revente. Bien que cette innovation ne soit pas techniquement révolutionnaire, elle s'inscrit parfaitement dans notre démarche de durabilité et montre comment nous intégrons l'innovation des startups pour renforcer notre stratégie.

Comment se traduit votre transformation organisationnelle ?

A-V.D et RR : Historiquement, notre Groupe fonctionnait selon un processus décisionnel en V, séquentiel, en silos et de manière descendante. Avec l'arrivée d’une nouvelle équipe de direction à la tête du Groupe et avec le COVID-19, cette approche a beaucoup évolué . Nous avons intégré que nos enseignes, ayant chacune leur propre positionnement et répondant chacune à des besoins différents, représentaient une force et que nous ne pouvions pas leur imposer un modèle uniforme. En réponse, nous avons décentralisé une grande partie du pouvoir décisionnel au niveau local, par exemple au sein du comité de direction de chaque enseigne. Actuellement, environ 80% des décisions sont prises à ce niveau. L'étape suivante consistait à ne pas reproduire au sein des CODIR locaux les anciennes pratiques centralisées du groupe. Nous avons donc cherché à établir un équilibre entre l'autonomie et la décentralisation des décisions, tout en maintenant une haute qualité d'exécution. Dans le secteur du retail, il est crucial que les décisions prises au siège soient exécutées correctement en magasin, sinon elles sont inefficaces. Ce changement de culture est significatif, et pour l'accompagner, nous avons intégré des méthodes agiles de manière progressive, notamment dans le lancement et la gestion de projets structurants.

Comment évolue votre gestion de la relation client à l'ère du numérique ?

RR : Chez Kingfisher, nous adoptons une approche très ouverte en matière de gestion de la relation client, reconnaissant que le numérique a profondément modifié les attentes et comportements des consommateurs : notre activité e-commerce a augmenté, passant de 2% à 6% pour Castorama depuis 2019. Cependant, l'intégration complète du digital dans le parcours client avec une diversification des canaux et des points de contact reste un défi. Mon rôle est de m'assurer que nous comprenons et intégrons efficacement le fait que l'expérience et la relation que nous offrons sont hybrides, complexes et largement déstructurées. Nous ne pouvons pas toujours prédire où le client choisira d'interagir avec nous, mais notre objectif est d'être présent et réactif partout où le client décide de se manifester.

Quelles sont les premières intégration de l’IA dans vos activités ?

RR : L'intégration de l'intelligence artificielle a connu chez Kingfisher une évolution significative au cours des 12 derniers mois : auparavant perçue comme un domaine réservé aux spécialistes de l'IT et du digital, l'IA est devenue plus tangible pour un large éventail d'utilisateurs grâce à l'émergence de la l’IA générative. Il a donc été nécessaire d’éduquer toutes les strates de l'entreprise sur l'importance et le potentiel de l'IA, dans un moment où nous sommes confrontés à une rapidité de développement et à une multitude de cas d'utilisation potentiels. Aujourd’hui, nous découvrons régulièrement de nouveaux cas d'utilisation, le défi est ensuite de déterminer lesquels seront viables pour une industrialisation et une création de valeur. Pour organiser ces initiatives, nous avons mis en place une gouvernance spécifique et nous nous concentrons sur un nombre restreint de cas d’usage. En ce qui concerne la conformité, nous avons établi une stratégie d'entreprise claire pour les collaborateurs, définissant ce qu'ils sont autorisés à faire avec l'IA et un cadre strict pour garantir la sécurité, la conformité et la prévention des fuites de données. Par exemple, notre conseiller virtuel , Hello Casto, est développé dans le respect de ce cadre, avec des filtres pour les questions controversées, illustrant notre engagement à lier innovation et responsabilité.
Nous sommes également en train de travailler sur un programme d’acculturation et de formation à l’IA à destination des collaborateurs des départements ventes/commerce, achat et pricing.

Comment surmontez-vous les résistances internes ?

RR : Je crois que la réussite d'une transformation en entreprise dépend de plusieurs facteurs clés. Tout d'abord, il est essentiel que le ton soit donné par le top management et qu’il incarne ces enjeux . La résilience, la patience, et la capacité à communiquer de manière répétée et variée sont nécessaires pour surmonter les obstacles. Deuxièmement, la gestion de la transformation doit être menée de façon crédible à tous les niveaux de l'organisation. Il y a toujours des individus sceptiques qui doutent que les changements se concrétisent, d'autres qui comprennent les enjeux sans vraiment les appliquer ensuite, et un petit groupe qui s'adapte aisément au changement. Il faut donc apporter des preuves tangibles et des explications adaptées. Je trouve également très utile d'organiser des tables rondes avec des chefs de secteurs en magasin, qui gèrent des équipes de 5 à 10 personnes. Ces sessions d'une heure sont des occasions pour eux de poser des questions librement et contribuent à construire une relation de confiance. Cela montre aussi que lorsque nous nous engageons à faire quelque chose, nous le réalisons effectivement. Cette approche personnalisée et engagée aide à transformer la perception du changement et à mobiliser tous les niveaux de l'organisation pour embrasser les nouvelles directions.

Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération

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