Comment observez-vous la convergence des accélérations en RSE, IA et digital au sein des entreprises ?
S’il y a encore quelques années ces transformations, et notamment la RSE, étaient perçues comme des éléments périphériques de la stratégie, suivant leurs propres silos, je suis convaincu qu’aujourd’hui, elles questionnent directement le modèle et le fonctionnement des entreprises. C’est sans aucun doute l’IA qui désormais représente le défi le plus profond : déjà par la connaissance qu’il nous faut acquérir pour comprendre le sujet, mais aussi par le potentiel d’impact considérable sur la façon d’exercer les métiers, particulièrement dans le secteur des services.
Les enjeux RSE ont été largement saisis par les entreprises depuis plusieurs années. Le vrai virage qui a été pris depuis plusieurs années, c’est celui de l’extra-financier et des demandes de transparence faites aux entreprises. Elles sont confrontées à des réglementations croissantes qui sont cruciales pour notre économie. La CSRD*, par exemple, va jouer un rôle clé, permettant des comparaisons objectives des pratiques des entreprises. Ce nouveau niveau de visibilité sur l’impact environnemental et social des entreprises aura des répercussions majeures, en permettant une meilleure information des consommateurs et en ouvrant la possibilité que les pouvoirs publics se saisissent de ces données. Conditionner les aides publiques, intégrer des critères environnementaux et sociaux dans les appels d’offres publics, ou même moduler la fiscalité en fonction du comportement des entreprises, sont quelques-unes des pistes que l’on peut imaginer et qui, en réalité, permettraient de mettre notre économie sur la voie de la transition.
On voit bien le tournant qui est pris en matière de gestion de données. Que ce soit le besoin de compréhension de critères ESG* ou la montée en puissance de l’IA, ces deux transformations demandent d’être en capacité de traiter un lot d’informations gigantesque.
Quelles sont les principales initiatives d’accélération en cours chez la MAIF ?
Nous nous concentrons sur trois enjeux principaux pour nos clients. D’abord, il s’agit d’améliorer l’attractivité de notre offre pour les jeunes actifs, afin de rajeunir et régénérer notre portefeuille de clients. Cela implique le développement de produits adaptés comme les mobilités douces et une amélioration continue de nos outils digitaux. Le deuxième enjeu est de régénérer la relation avec nos sociétaires dans nos agences physiques. Nous avons un programme important de transformation de nos agences, avec l’objectif de rendre les visites plus attractives pour nos clients. Nous avons la chance d’avoir un nombre optimal d’agences, environ 150 en France, ce qui nous permet de nous concentrer sur leur qualité plutôt que sur leur quantité. Enfin, le troisième enjeu est de renforcer le sentiment d’appartenance et la fidélité de nos clients, en activant des liens, particulièrement autour des sujets écologiques.
Sur le volet interne, nous avons adopté depuis une dizaine d’années une approche de management basée sur la confiance, qui est devenue un élément structurant de notre culture d’entreprise. C’est une logique qui est un réel atout dans un moment où les rapports au travail évoluent. Elle nous permet de cultiver l’engagement et la motivation de nos employés. C’est à la fois vecteur d’épanouissement individuel et de performance collective.
Quelles sont les clés d’un sincère engagement des collaborateurs ?
Pour engager pleinement nos collaborateurs dans les transformations de l’entreprise, deux conditions essentielles doivent être remplies. La première est la compréhension : il est crucial que nos équipes aient une vision claire de la direction que prend l’entreprise. En tant que dirigeants, notre rôle premier est de définir cette voie et de communiquer son sens de manière simple et compréhensible. La seconde condition est la conviction. Chacun doit croire dans le cap fixé et percevoir le plein engagement de son manager, de sa direction et des équipes. Tout engagement dans une voie qui ne serait pas authentique serait directement détecté et mènerait à la décrédibilisation de la stratégie de l’entreprise.
Quelles utilisations de l’intelligence artificielle la MAIF a-t-elle déjà déployé ?
L'intelligence artificielle est un domaine prioritaire pour nous, en particulier en 2024. Notre approche vise à la fois à prendre ce virage – nous ne pouvons faire autrement – et à le faire avec la philosophie qui est la nôtre depuis plusieurs années : l’IA doit enrichir la relation humaine. Depuis maintenant 20 ans, nous sommes n°1 de la relation client en assurance grâce à l’attention sincère que nous accordons aux besoins de nos sociétaires. Il serait incompréhensible de perdre cet atout.
Concrètement, un aspect clé de notre stratégie en matière d’IA est l'acculturation et la compréhension généralisée de ses implications au sein de l'entreprise. Il est crucial pour nous d'avoir une connaissance approfondie de l'IA afin de pleinement saisir ses effets et opportunités. Ensuite, nous avons déjà lancé des projets opérationnels en IA, en tenant compte des enjeux de protection des données. Ainsi, nous distinguons l’utilisation d’outils d'IA ouverts qui ne sont pas connectés à nos bases de données, de ceux développés spécifiquement pour nos cœurs de métier, qui eux peuvent être connectés à nos bases de données, mais sans accès externe. Les applications évidentes incluent le traitement initial des flux d'emails, avec lecture, compréhension et préparation de réponses pour améliorer la rapidité et la qualité de nos réponses. Un autre domaine d'intérêt est l'amélioration qualitative de l'interaction de nos collaborateurs avec les sociétaires et les clients : nous avons développé une IA en interne qui, lors d'un appel téléphonique, fournit instantanément des informations pertinentes sur les sujets abordés par le client, aidant ainsi à améliorer la qualité de l'échange. Enfin, nous explorons le potentiel de l'IA dans le scoring lié au climat, un aspect de plus en plus important pour nos utilisateurs.
Comment vous assurez-vous d’un alignement des intérêts entre vos clients, vos collaborateurs et l'entreprise ?
Je suis profondément convaincu de l'importance de l'alignement des intérêts pour le progrès. Cela a été un principe clé à la MAIF, où les intérêts des clients, des salariés et de l'entreprise ont été mis en cohérence. Lorsque les intérêts sont alignés, une force puissante est libérée, car il n'y a plus de résistances ni de freins.
Je crois que cet logique d’alignement doit aussi présider dans les relations entre les entreprises et l’Etat.C'est le rôle des pouvoirs publics de créer des conditions dans lesquelles les entreprises ont un intérêt, même à court terme, à œuvrer pour le bien commun. Prenons l'exemple du changement climatique : les entreprises détiennent la clé de la transition, tant en termes d'adaptation que d'atténuation. Alors que nous nous dirigeons vers un monde à +4°C, il est impératif que le secteur public introduise des mesures réglementaires et fiscales pour inciter les entreprises à réduire leur impact. L’enjeu c’est que l’engagement devienne un avantage compétitif. A cet égard, je plaide pour la mise en place d’une fiscalité différenciée selon le comportement des entreprises et leur contribution à l’atteinte de nos objectifs climatiques.
Comment envisagez-vous la réputation de la MAIF dans 30 ans ?
Je dirais que cela dépend de la cible que nous évoquons. Pour le grand public, j'aimerais que la MAIF soit reconnue comme une entreprise qui fait bien son métier, qui est aux côtés de ses sociétaires, tout en ayant un modèle qui lui permet d’avoir un impact positif sur la société et le vaste monde. Du point de vue de nos clients, mon souhait est qu'ils considèrent la MAIF comme offrant la meilleure relation client et le service le plus fiable, tout en étant l'entreprise en laquelle ils ont le plus confiance et qu'ils jugent la plus sincère. Quant à nos employés, je souhaite qu’ils perçoivent la MAIF comme l'entreprise qu'ils recommanderaient, parce qu’ils y font un travail qui leur plaît et les motive, et parce qu’ils y vivent sereinement.
Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération