Sommaire de l'ouvrage
Dans une démarche de transformation durable, vous avez établi une équipe ESG, quel est son rôle ?
L’équipe ESG est une équipe pleinement intégrée aux équipes d’Investissement, travaillant à leurs côtés au quotidien pour les accompagner notamment sur les lancements des fonds impact, sur l’analyse des opportunités et sur le soutien aux entreprises cibles et en portefeuille. Aujourd’hui, c’est encore une fonction distincte car nous sommes dans une phase d’apprentissage en ce qui concerne les indicateurs, les outils et/ou les réglementations. À terme, l’objectif est que l’ESG soit une mission supplémentaire pour l’ensemble des collaborateurs dans l’entreprise.
Vous avez lancé vos premiers fonds d’impact en 2018, quelles sont les clés de succès ?
Pour lancer des fonds d’impact, il faut qu’il y ait une volonté de changement. Notre objectif est d’offrir un rendement compétitif pour chaque classe d’actifs (dette privée, capital-investissement, immobilier, infrastructure...) tout en apportant un changement positif pour la planète et/ou la société. Toutefois, l’impact ne doit pas se faire au détriment de la performance financière : pour lever des fonds significatifs, ces deux enjeux doivent être placés au même niveau.
Comment peut-on innover sur les sujets liés au développement durable ?
En s’entourant d’experts externes dans l’écosystème par exemple, car il est difficile de progresser seul... Ainsi, quand nous avons lancé notre fonds de décarbonation en 2018, notre partenaire clé a été TotalEnergies, le plus grand investisseur en énergies renouvelables en Europe. De même, lorsque nous avons lancé notre stratégie dédiée à l’agriculture régénératrice, nous avons collaboré avec AXA Climate, pour leur expertise sur les risques physiques liés au changement climatique et leur connaissance approfondie de l’agriculture régénératrice, ainsi qu’avec Unilever, pour avoir une vision complète de la chaîne de valeur agroalimentaire. Pour progresser, il faut également être capable de prendre des risques. C’est ce que nous avons fait notamment en 2020 en lançant, par exemple, un premier fonds de dette à impact, l’une des premières initiatives de ce genre sur le marché du direct lending. Ensuite, nous avons commencé à standardiser notre proposition d’ajuster le taux d’intérêt des crédits en fonction des critères ESG dans nos contrats de prêt. Initialement, il s’agissait uniquement d’un bonus. Aujourd’hui, nous proposons un mécanisme équilibré, avec une variation significative du taux d’intérêt en fonction de l’atteinte des objectifs ESG définis en collaboration avec l’entreprise. Chez Tikehau Capital, à la fin de 2023, 66% des nouveaux deals de dettes privées intégraient ce mécanisme, ce qui en fait désormais un standard pour nous.
En quoi investir sur un actif décarboné peut constituer un “game changer” ?
Selon l’initiative Science Based Targets, plus de 8 000 entreprises dans le monde, représentant plus d’un tiers de l’économie mondiale en termes de capitalisation boursière, se sont engagées à décarboner leurs activités dans le cadre des Science Based Targets. Pour se décarboner, les entreprises doivent à la fois travailler sur leur offre de produits et services et sur leur modèle opérationnel. Elles doivent également évaluer la performance carbone de leurs fournisseurs de matières premières, produits et services. Pour les apporteurs/fournisseurs de solutions, nous y voyons une méga-tendance de croissance. Dans certains cas, cela implique également des investissements importants pour modifier la conception des produits, adapter la chaîne d’approvisionnement ou transformer le modèle économique de l’entreprise. Soutenir un rendement compétitif et financer cette transition nécessite donc un engagement à moyen ou long terme.
En quoi la réglementation peut-être une opportunité d’accélérer son impact ?
La réglementation exige de placer les données ESG sur un pied d’égalité avec les données financières, ce qui représente un véritable tournant. Cependant, cela nécessite un important travail d’organisation des données et des systèmes de gestions des données ESG et de risque. Il s’agit de définir les axes prioritaires sur lesquels l’entreprise doit s’investir plutôt que de simplement passer en revue chaque indicateur réglementaire.
En ce qui concernant le bilan carbone d’une entreprise, nous prenons en compte non seulement les tonnes de carbone équivalent en valeur absolue, mais aussi les variations physiques et monétaires des postes d’émissions carbone matériels. Les fluctuations dues à l’évolution du chiffre d’affaires et aux facteurs d’émissions carbone sont une partie intégrante de l’équation. Toutefois, une stratégie de développement durable doit avant tout être fondée sur des critères d’activité mesurables et tangibles, où l’impact peut être clairement observé. Par exemple, pour le carbone et les émissions évitées, il est essentiel de se référer aux quantités physiques sous-jacentes pour bien comprendre les impacts. La RSE dépend ainsi des produits et des services proposés et des actions concrètes menées. À titre d’exemple, dans le secteur du textile, la qualité des produits est influencée par le choix des fournisseurs et des matériaux, ainsi que par les initiatives de seconde main ou d’upcycling.
“Il va y avoir de plus en plus d’entreprises en demande d'une chaîne de logistique entièrement décarbonée”
Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération
