

Sommaire de l'ouvrage

Comment se traduit, pour Tarkett, l’interdépendance des transformations ?
Face à un contexte de convergence et d'interdépendance des transformations, ainsi qu'à une exigence de frugalité, je perçois une accélération significative de la transformation durable, surtout à mesure que l'impact environnemental commence sérieusement à influencer nos modèles d'affaires. Parallèlement, la transformation digitale et l'intégration de l'intelligence artificielle progressent à un rythme tel qu'il devient difficile de se projeter dans l'avenir. Ma conviction penche donc fortement vers la décentralisation, puisque les crises récentes (pandémie, conflits géopolitiques, etc.) démontrent que la centralisation n'offre pas toujours les réponses adéquates. Notre capacité à traverser efficacement la crise sanitaire, par exemple, a renforcé ma croyance en une approche moins hiérarchique, plus horizontale, privilégiant l'autonomie et la flexibilité des équipes. Le terme "convergence" me semble alors moins approprié que "interdépendance" pour décrire notre réalité. Avancer de concert sur les fronts de la lutte contre le réchauffement climatique, de la réduction de l'empreinte carbone et de la transformation digitale exige un croisement de données, un changement culturel et une adaptation des modèles d'affaires, qui ne relèvent pas uniquement du numérique ou de l'organisation. Par exemple, en termes de développement durable, je considère que nous sommes en avance sur d'autres transformations, un choix délibéré basé sur une vision claire et une conviction profonde bien avant que la CSRD n'ajoute une nouvelle couche d'impératifs. L'interdépendance avec l'organisation est également cruciale, car, convaincu qu'en 2030, les talents ne voudront rejoindre que des entreprises prenant au sérieux ces enjeux, nous avons placé un accent particulier sur la transformation durable. Quant à la transformation digitale et IA, notre position est intermédiaire ; nous explorons des cas d'usage sans avoir encore identifié un impact business direct, mais en restant engagés dans cette voie pour ne pas rester à la traîne. Enfin, la transformation organisationnelle touche directement à l'humain, exigeant des adaptations dans les rythmes et les structures de l'entreprise.
Où en êtes-vous de votre transformation data et digitale ?
Sur le front de la transformation digitale, nous affichons une bonne maîtrise de l'infrastructure, ayant achevé notre migration complète vers le cloud. Cependant, quand il s'agit de la gestion des données, un domaine essentiel pour l'avenir, nous reconnaissons un retard à combler. La complexité de la data, impliquant l'ensemble de l'entreprise et la prolifération des sources de données peu exploitables, représente pour nous le plus grand défi.
Et si l’on prend le sujet de l'internationalisation ?
L'évolution de Tarkett a été remarquable. La France, notre pays d'origine, ne représente plus que 6 % de nos ventes globales. À travers des acquisitions ciblées et une croissance organique soutenue, nous nous positionnons désormais comme un groupe véritablement multinational, transcendant nos racines françaises. Néanmoins, l'exposition à de nouveaux risques, particulièrement le risque géopolitique, révèle que les approches traditionnelles de gestion des risques, souvent concentrées sur les aspects financiers et les calculs de rentabilité ajustée au risque, ne capturent pas pleinement la nature binaire du risque géopolitique. Contrairement aux risques économiques, où des ajustements de rentabilité peuvent compenser les incertitudes, le risque géopolitique peut entraîner des pertes totales d'opérations dans certains pays, sans avertissement préalable. La leçon tirée est claire : la diversification géographique n'est pas seulement une stratégie de croissance, mais aussi un impératif de survie. Reconnaître et accepter que l'investissement dans certains territoires comporte un risque non négligeable de pertes intégrales est clé pour notre planification stratégique future.
Comment intégrez-vous l'intelligence artificielle dans vos processus industriels et commerciaux?
Je suis convaincu que nous n'avons encore qu'effleuré le potentiel révolutionnaire de l’IA, particulièrement pour les professions manipulant de grandes quantités d'information, comme les juristes. Les avancées actuelles, telles que les progrès en traduction observés dans les produits Microsoft Office, ne sont que le prélude de ce qui est à venir.
Par ailleurs, bien que Tarkett soit une entreprise industrielle, produisant des biens physiques traditionnellement installés manuellement, nous explorons activement des cas d'usage où l'IA pourrait transformer significativement certains de nos processus. Un exemple frappant est celui de nos équipes de prise de commandes, qui gèrent des flux d'informations complexes: demandes clients, capacités de production et catalogues de produits. L'IA peut alors optimiser toutes ces interactions. Notre approche est donc dans l'exploration et le partage d'expériences spécifiques, en travaillant sur des pilotes ciblés avec divers partenaires. Enfin, un autre domaine clé pour nous est le design produit, où l'IA peut jouer un rôle crucial dans la simulation de l'intégration de nos produits dans différents environnements et dans la création d'ambiances immersives : un aspect essentiel pour valoriser notre offre à grande échelle.
Quelle place conservez-vous pour l’humain ?
Nous évoluons dans le secteur du bâtiment, profondément ancré dans la relation et l'interaction, où la dimension temporelle et la stabilité sont primordiales. Nous avons observé que nos unités d'affaires les plus prospères sont celles où règne une stabilité, favorisant des relations de confiance à long terme, non seulement envers notre marque, mais également entre individus. Cette importance accordée à l'humain, aux relations personnelles avec nos clients, agit comme un contrepoids à la digitalisation et à l'IA. Lorsque nos clients expriment leur satisfaction non seulement envers Tarkett, mais aussi envers des membres spécifiques de notre équipe, comme une conseillère clientèle exceptionnelle ou un commercial qui sauve un projet difficile, cela renforce la fidélité à notre marque. Dans ce contexte où l'IA prend une place croissante, l'aspect humain devient d'autant plus important.
Comment encouragez-vous l’autonomie décisionnelle ?
L'une des approches clés est la réduction de l'impact du centre. Dans cette optique, nous avons lancé un projet de décentralisation, ciblant en particulier les fonctions opérationnelles. Je crois fermement que cette démarche est non seulement adaptée à la nature de Tarkett, mais également à sa configuration actuelle. Cette importance accordée à la décentralisation prend, de plus, tout son sens dans les périodes d'instabilité, lors desquelles, en plaçant la prise de décision plus près du terrain, nous rendons Tarkett plus réactif et à même de naviguer efficacement dans un environnement en constante évolution.
Quels sont les risques identifiés ?
Dans l'analyse des risques pour l'activité de Tarkett, la priorisation des menaces a évolué significativement au fil du temps. La cybersécurité se place désormais en tête de liste, étant le seul risque capable de paralyser l'ensemble de l'entreprise instantanément. Cette menace universelle dépasse largement les frontières de nos filiales, contrastant avec des risques comme les incendies d'usines qui, bien que graves, restent localisés. Par ailleurs, le risque géopolitique, autrefois considéré comme marginal, est également aujourd'hui au cœur de nos préoccupations. La situation a radicalement changé ces dix dernières années, et ce risque devient de plus en plus pertinent, en particulier pour nos filiales situées dans des zones instables. Ensuite, l'impact environnemental gagne en importance. Ses effets, bien que variés, commencent à influencer de manière structurelle notre modèle d'affaires. Les événements climatiques extrêmes, tels que les inondations ou les ouragans, présentent des risques croissants pour nos sites industriels, soulignant la nécessité d'adapter nos stratégies à ces nouvelles réalités. Quant aux changements réglementaires, ils ne représentent pas en soi un risque direct pour notre secteur. Au contraire, une réglementation adaptée pourrait accélérer l'adoption de pratiques plus durables, telles que l'économie circulaire et le recyclage, des domaines où nous voyons un potentiel significatif pour réduire notre empreinte carbone. Enfin, le risque économique, lié à l'évolution des coûts et à la productivité, reste une préoccupation constante. Toutefois, ce qui freine parfois l'adaptation n'est pas tant une résistance au changement en soi, mais plutôt la vitesse à laquelle ces transformations se produisent, dépassant souvent les capacités d'adaptation humaine. Nous sommes confrontés à la nécessité d'une évolution rapide, à un rythme qui peut s'avérer difficile à suivre pour les individus et les structures organisées sur des cycles humains plus traditionnels.
“Ce qui freine parfois l'adaptation n'est pas tant une résistance au changement en soi, mais plutôt la vitesse à laquelle ces transformations se produisent, dépassant souvent les capacités d'adaptation humaine”
Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération