

Sommaire de l'ouvrage

Comment avez-vous fait évoluer la temporalité de votre vision stratégique ?
Historiquement, nous avions des visions stratégiques projetées sur dix ans, mais nous avons réalisé que ce modèle n’était plus viable. En effet, la méthodologie précédente, bien qu’enthousiasmante, consommait beaucoup de ressources sans délivrer suffisamment de résultats probants. À l’arrivée de Barbara Martin Coppola comme CEO de Decathlon, nous avons effectué un changement significatif en adoptant un plan stratégique sur quatre ans articulé autour de cinq axes majeurs. Ont également été mis en place des QBR, visant à s’assurer que tous les OKR soient bien suivis et alignés de manière régulière.
Quels sont ces cinq piliers de votre stratégie actuelle ?
Il y a l’expérience client, le développement de nouveaux modèles économiques, l’optimisation de la supply chain, la priorisation géographique et sectorielle et, au cœur de tout cela, la transformation de notre organisation et des ressources humaines. Nous avons également fait évoluer l’intitulé de notre mission, passant de « Rendre les plaisirs et les bienfaits des sports durablement accessibles à tous », à « Move people through the wonders of sport ». En plus du changement de langue, qui marque notre rayonnement international, cette formulation montre notre volonté de toujours plus intégrer le sport dans la vie quotidienne des gens et ne nous restreint pas à la seule accessibilité financière de la pratique sportive. En effet, le prix reste un moyen, mais il ne représente pas notre unique levier.
Comment continuez-vous à soutenir l’innovation produit ?
Nous avons adopté une approche d’innovation résolument ouverte. Cela se fait avec le grand public, au travers de notre plateforme de co-création accessible (cocreation.decathlon.fr), mais aussi avec les meilleurs spécialistes dans leur domaine. Un exemple récent est le développement du nouveau vélo, le LD920E, qui a été conçu en collaboration avec E2Drive, une startup belge spécialisée dans ce domaine depuis quinze ans. Autre illustration, pour le développement de notre vélo Van Rysel, nous avons collaboré avec ONERA, un centre spécialisé en aérospatial, pour créer le vélo de route le plus aérodynamique possible. Cette stratégie nous permet de rechercher les meilleurs composants et savoir-faire externes.
Et comment une triple transformation digitale - durable et organisationnelle participe également au développement de nouveaux produits et services ?
Ce qui est fascinant, c’est de travailler à faire converger ces trois transformations dans des applications qui seraient donc triplement vertueuses. On parvient déjà à mettre en symbiose la transformation durable et la transformation numérique dans la création de produits connectés : ceux-ci génèrent des données sur leur niveau d’usage et potentiellement d’usure pour anticiper leur réparation et éviter d’avoir à les jeter. Et organisationnellement, cela permet à nos ingénieurs d’accéder en temps réel à des études d’usage toujours plus pointues. Autre exemple, celui de la chaussure de football que nous avons développée avec un partenaire à Nantes, la « Traxium Compressor ». Elle est issue d’une technique d’injection qui réduit considérablement les étapes d’assemblage des différentes pièces de la chaussure. Cela rend non seulement le produit plus confortable et plus résistant (garanti jusqu’à dix ans et 350 utilisations), mais aussi plus facile à recycler puisque il est composé d’un matériau homogène. Poussant cette idée plus loin, pourquoi ne pourrait-on pas personnaliser entièrement ces chaussures pour qu’elles soient fabriquées sur mesure ? Imaginez un modèle où vous scannez votre pied, envoyez les données, et recevez une chaussure parfaitement adaptée à votre morphologie.
Quels sont les avantages à équiper certains produits de puces RFID ?
Nous avons intégré des puces RFID dans tous nos produits, au départ pour en faciliter la reconnaissance au passage en caisse. Du coup, cela les rend nativement connectables et ouvre de nombreuses possibilités d’usages. En liant un indicateur d'usure à ces puces par exemple, nous pouvons non seulement suivre l'état du produit mais également enrichir l'expérience utilisateur avec des fonctionnalités plus divertissantes et utiles. Sur les bâtons de randonnée notamment, la puce peut ainsi enregistrer tous les parcours effectués. Ces données peuvent ensuite être synchronisées avec une application de cartographie, permettant aux utilisateurs de visualiser toutes leurs randonnées réalisées au cours des dix dernières années. Cela devient également intéressant pour les produits achetés en seconde vie, car l'acheteur peut voir l'histoire complète du produit, y compris les parcours de randonnée qu'il a déjà accomplis, ajoutant une dimension narrative et émotionnelle à l'expérience client.
Comment abordez-vous la transition vers une approche plus “data driven” ?
Nous nous sommes engagés dans une transformation culturelle significative, où l’objectif est d’accompagner notre intuition par l’analyse de données. En effet, nous reconnaissons qu’il est aujourd’hui essentiel de développer une « culture data », pour compléter et valider des premières idées (innovation produit, communication...). Cela implique de former nos équipes à utiliser les données comme un moteur supplémentaire de décision et d’innovation, permettant d’apporter des preuves tangibles et mesurables.
Quelles sont les premières utilisations de l’Intelligence artificielle pour offrir une expérience plus personnalisée ?
Nous utilisons déjà l’intelligence artificielle dans deux applications majeures. En marketing client, nous développons et utilisons des algorithmes qui améliorent nos ciblages et nos approches prédictives. Par exemple, pour nos recommandations d’achats de produits complémentaires sur notre site internet ou dans l’animation automatisée de notre base d'emails. Pour la production de nos contenus, nous exploitons aussi l'IA générative en repartant des modélisations 3D de nos produits, puisque nous les concevons nous-mêmes. Nous avons ainsi la capacité de multiplier nos assets disponibles, déclinés en autant de couleurs ou d’arrière-plans que nécessaires. De plus, les mannequins virtuels nous permettent de représenter tous les morphotypes. Ce cas d’usage est particulièrement pertinent pour une entreprise présente à l’international dans 70 pays, qui tient à ce que chacun puisse se projeter facilement dans nos photos ou vidéos.
Quels sont vos principaux défis concurrentiels actuels ?
Nous devons faire face à des géants mondiaux comme Nike ou Adidas, qui disposent de moyens marketing considérablement plus importants, parfois dix fois supérieurs aux nôtres. En plus de ces concurrents généralistes, sur chaque segment sportif sont également présents des spécialistes, tels que Lululemon pour le yoga, Canterbury pour le rugby, ou Rapha pour le cyclisme. Ces acteurs, qu'ils soient généralistes ou spécialisés, renforcent leurs positions grâce à une digitalisation accrue.
Et comment accompagnez-vous, en interne, les changements ?
Si nous avançons fort et vite sur les transformations durable et numérique, le plus gros challenge pour nous est certainement l’aspect organisationnel. Cela ne relève pas d’une résistance à se transformer radicalement. Tant que cela répond bien à notre mission d’entreprise, les Decathloniennes et Decathloniens sont habitués à sortir de leur zone de confort et à évoluer dans de nouvelles configurations. C’est plutôt lié aux progrès que nous devons faire sur le “change management“. Même si nous tendons désormais vers un modèle plus structuré, anticipé et jalonné, nos approches pourraient encore gagner en ordre et en focus. De récents recrutements vont dans ce sens et nous permettront de nous améliorer sur cet aspect.
Avez-vous basculé sur un mode de travail hybride ?
En effet, pour les collaborateurs et collaboratrices du siège, le télétravail occupe jusqu’à 2 jours par semaine. Cependant, il est important de rappeler que nous sommes principalement une entreprise de retail et que la très grande majorité de nos effectifs est engagée dans l’exploitation des magasins. Pour ces personnes, le contact se fait toujours sur le point de vente ou en entrepôt, donc pas de télétravail pour l’instant. Mais pourquoi ne pas l'envisager à l’avenir pour certaines missions ? Par exemple, pour nos conseillers experts avec qui les consommateurs peuvent aujourd’hui prendre rendez-vous pour bénéficier de conseils techniques, à distance et au moment qui leur convient (jusqu'à minuit en France).
En effet, pour les collaborateurs et collaboratrices du siège, le télétravail occupe jusqu’à 2 jours par semaine. Cependant, il est important de rappeler que nous sommes principalement une entreprise de retail et que la très grande majorité de nos effectifs est engagée dans l’exploitation des magasins. Pour ces personnes, le contact se fait toujours sur le point de vente ou en entrepôt, donc pas de télétravail pour l’instant. Mais pourquoi ne pas l'envisager à l’avenir pour certaines missions ? Par exemple, pour nos conseillers experts avec qui les consommateurs peuvent aujourd’hui prendre rendez-vous pour bénéficier de conseils techniques, à distance et au moment qui leur convient (jusqu'à minuit en France).
Comment favorisez-vous le partage de connaissance et la montée en compétences des collaborateurs ?
L'apprentissage est fondamental chez Decathlon et constitue certainement l'une des clés de la réussite de l’entreprise. L’ensemble des formations est coordonné au sein d’une structure internationale, Decathlon Academy, qui structure et dispense toutes les formations "classiques" sur les savoir-faire et les savoir-être. En tant qu’entreprise évoluant dans le secteur du sport, nous accordons une grande importance au bien-être de nos collaborateurs. Ainsi, nous développons des formations spécifiques sur le sommeil et l'alimentation. Nous encourageons également activement la pratique sportive : par exemple, aucune réunion n’est programmée pendant la pause de midi pour laisser à tous la possibilité de pratiquer une activité, et une heure de sport est systématiquement prévue à la fin de toutes les réunions d’équipe mensuelles. Notre attachement à la formation s’illustre aussi à travers la mise en place en France de Centres de Formation et d’Apprentissage destinés à de futurs techniciens d'atelier, fonctionnant comme de véritables écoles avec des diplômes certifiés et reconnus par l’État.
Comment intégrez-vous la durabilité dans vos processus de conception et de production?
Constatant que plus de 80 % de notre impact carbone provenait de la conception et de la production de nos produits, nous avons complètement intégré la durabilité dans notre chaîne de conception. Cela passe d’abord par un travail sur la qualité de nos produits, qui doivent satisfaire durablement les sportifs qui les ont achetés. Nous mesurons cette satisfaction de façon permanente sur l'ensemble de notre assortiment, ce qui me permet de vous dire qu’en 2024, nos produits obtiennent une note moyenne de 4,6 étoiles sur 5. La réparabilité est un autre levier sur lequel nous travaillons pour améliorer la durée de vie de nos produits d’équipement, notamment. Par exemple, toutes nos tentes sont réparables, soit dans nos ateliers, soit en Do It Yourself, en utilisant nos pièces détachées et nos tutoriels.
Et de façon plus globale, quelle place prend la RSE dans votre stratégie?
Depuis plusieurs années, nous avons élaboré et publié un plan de transition détaillé pour planifier nos réductions d'empreinte carbone, avec des cibles validées par une entité indépendante, Science Based Targets. Plus que de grands mots, quelques réalités tangibles et concrètes. Pour 2026, notre objectif est de réduire notre impact carbone de 11,4 à 9,6 millions de tonnes équivalent CO2. Aujourd’hui, environ 40 % de notre activité se fait avec des produits dont nous avons réduit d'au moins 10 % l’impact carbone au cours des dernières années. Nous avons été les premiers dans le secteur du textile à afficher l'impact environnemental de nos produits. Decathlon a également été parmi les pionniers en France à s’engager volontairement dans un marketing plus responsable, que ce soit par les messages promus ou à travers l’impact carbone des médias utilisés.
Les nouveaux modèles d'affaires circulaires - réparation, seconde main, location - sont au cœur de notre stratégie : leur part dans notre activité devrait doubler dans les prochaines années, pour dépasser 10 %. Un beau succès : les vélos pour enfants "vendus" via nos formules de location, permettant de changer de vélo au rythme de la croissance de l'enfant. Enfin, nous nous engageons dans un plan de relocalisation de la production. Par exemple, nous installons cette année à Troyes une usine dédiée au recyclage de nos serviettes en microfibres, et plus de 50 % des produits que nous fournissons en tant que partenaire des Jeux Olympiques et Paralympiques sont fabriqués en France, alors que notre engagement contractuel initial était de 20 %.
“Le partage du savoir (apprentissage) est fondamental, considéré aussi important dans l’entreprise que le partage du pouvoir (gouvernance) et le partage de l’avoir (intéressement)
Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération