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Claude Monnier (Sony Music) : 'La défaillance fait partie de notre chaîne de valeur'

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Claude Monnier (Sony Music) : 'La défaillance fait partie de notre chaîne de valeur'

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Le droit à l’échec, tout droit venu des nouvelles cultures digitales, peut-il être un jour systématisé dans les méthodes RH du quotidien ? Pour Claude Monnier, Chief People Officer chez Sony Music, cela ne fait aucun doute. Décryptage sans fard d’une philosophie RH pas tout à fait comme les autres.

Extrait du 6e Référentiel de l'Entreprise Apprenante, édité par HUB Institute en collaboration avec IBM.

HUB Institute : Dans le cadre de cet entretien, nous aurions besoin de votre titre exact. Quel est-il ? 

Claude Monnier : Au sens contractuel, je suis DRH, mais sur ma carte de visite, vous lirez Only Human After All, titre d’une chanson de Rag’n’Bone Man. Les collaborateurs français se définissent trop par rapport à leur fonction plutôt que par rapport à leurs projets. Au sein de Sony Music, nous réfléchissons à la détitrisation totale de celles-ci pour une plus grande flexibilité des organisations.

HUB Institute : Quelle place pour le digital chez Sony Music Entertainment ?

CM : Essentielle et principale, parce qu’il a bien été question de survie pour l’industrie de la musique. Rappelons nous qu’entre 2000 et 2010, l’arrivée du web a amené avec elle la dématérialisation de la musique et donc la possibilité d’accéder aux contenus gratuitement. Certaines études ont estimé une perte de valeur de notre industrie de 80%, traduite immédiatement par de la destruction d’emplois. A partir de 2012, notre maison a décidé qu’elle refusait de mourir en suivant passivement ce que les nouveaux usages nous imposaient et nous avons fondamentalement remis en cause des paradigmes industriels qui opéraient depuis deux décennies. 

Factoriser le droit à l’erreur et en retirer des enseignements est indispensable, c’est ce qui nous permet de prendre des risques.

En huit ans de recherche et développement, nous nous sommes réinventés en bâtissant sur du digital et de la prospective. Cela est notamment passé par la création d’une direction centrale qui chapeaute toutes les autres fonctions et regroupe l’ensemble des expertises numériques : data, marketing, audience développement, media buying… On y trouve aussi des métiers très spécifiques à notre industrie qui travaillent sur les logiques de streaming audio et vidéo, la digitalisation des contenus sur les plateformes, ou encore les playlists BtoC sur les stores en ligne. Ce département, qui est passé de 2 à 25 personnes en moins de trois ans, irrigue nos équipes, les labels, nos partenaires et travaille aussi en direct avec nos artistes.

HUB Institute : Sous cette impulsion, les RH se sont elles aussi profondément digitalisées ?

CM : Dès lors qu’il est question d’imaginer de nouvelles manières de travailler, nous sommes pleinement partie prenante. Pour être en avance sur de nouveaux sujets comme la dématérialisation et la monétisation, il a fallu recruter de nouvelles compétences et surtout inventer de nouveaux métiers comme curateurs de playlists par exemple. J’ai aussi recruté mon premier data scientist il y a 6 ans, alors que personne ne pouvait penser utiliser de la data dans une maison de disque à cette époque. Dans la pure logique du digital nous avons expérimenté plein de choses pour nous réarmer et revenir dans la course. Certaines sans succès, d’autres avec.

HUB Institute : Les RH demeurent donc centrales à toute transformation digitale ? 

CM : Elles le sont sans aucun doute dans notre métier spécifique. Nous travaillons dans un secteur sans brevet, sans stock de matières premières, où tout est question de talent. Celui de nos artistes, mais évidemment dans cette logique, celui de nos collaborateurs également. Tout repose donc sur la gestion de l’humain. C’est une facette très atypique du métier des RH pour des entreprises plus classiques. Pour réussir, nous éprouvons d’ailleurs des méthodes totalement inventées par la culture digitale comme l’industrialisation du droit à l’erreur, la valorisation des faiblesses et la flexibilité des organisations.

HUB Institute : Que signifie industrialisation du droit à l’erreur et valorisation des faiblesses pour un directeur des ressources humaines ?

CM : L’industrialisation de ce droit ne concerne pas tant les RH que le cœur de métier de l’industrie. Quand nous produisons X albums par an, mais que Y sont un succès, ça veut dire également que la différence entre X et Y représente un échec économique. 

Notre organisation se doit d’être l’adaptation mouvante d’un système à son environnement. 

La défaillance fait partie de notre chaîne de valeur. Factoriser le droit à l’erreur sur tous ces échecs commerciaux et marketing et en retirer des enseignements est indispensable, c’est ce qui nous permet de prendre des risques pour accompagner ensuite le succès d’artistes qui ne répondent en rien à des process rationnels. Jacques Brel a écrit son plus bel album, Les Marquises, en se sachant condamné. Il ressort systématiquement des séquences de temps faibles un moment catalyseur et c’est exactement pareil pour nos collaborateurs dans un secteur aussi créatif que le nôtre. Divorce, attentat, deuil, longue maladie… Quand quelqu’un va mal, nous n’avons pas recours au placard, nous préférons lui donner de la lumière.

HUB Institute : Quid de la notion de flexibilité dans votre organisation ?

CM : Notre organisation se doit d’être l’adaptation mouvante d’un système à son environnement. Les lancements d’albums chaque année sont tous autant de petites entreprises. Chaque projet nécessite une organisation différente. Et au-delà de nos expertises, nous changeons de casquette dès que nous changeons de genre musical.

HUB Institute : Travailler sur de la musique urbaine et sur du jazz en audience développement, par exemple, nécessite une énorme plasticité en termes de compétences. Aidez-vous votre corps social dans cet exercice de style ?

CM : Oui, et ma principale mission repose sur deux choses. D’une part, je dois l’embarquer dans un désapprentissage permanent pour ne pas cultiver les préjugés, les idées reçues, les habitudes et les routines. D’autre part, je dois être capable de privilégier le savoir-être plutôt que le savoir-faire. Ces deux paradigmes ne fonctionnent bien sûr que parce que nous sommes 200 et que beaucoup de choses sont basées sur la proximité humaine. Mais pour autant, aidés par la culture digitale, nous avons complètement cassé les modèles RH traditionnels et désappris avec succès. 

Crédit photo Vishnu R Nair

Retrouvez les témoignages de nombreux acteurs des RH dans des entreprises telles que Transdev, SNCF Voyages, Arkema, Club Med, en téléchargeant la 6e édition du "Référentiel de l’entreprise apprenante" par le HUB Institute en collaboration avec IBM.

Et retrouvez d'autres témoignages d'experts de la fonction RH ainsi que de nombreux case study lors de la première édition du Digital Work Experience Forum le 26 novembre prochain

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