témoignage Triple accélération

Ne pas laisser les ruptures technologiques se transformer en ruptures organisationnelles

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Valérie Decaux
DRH Groupe
GROUPE LA POSTE
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Sommaire de l'ouvrage

La Poste est devenue entreprise à mission mais pour le groupe, la RSE ne concerne pas uniquement le volet environnemental mais aussi humain, afin de répondre aux besoins collectifs et individuels de chaque client mais aussi de chaque collaborateurs.

La Poste est devenue une entreprise à mission, qu’est-ce que cela implique ?

En tant qu’entreprise à mission, nous avons défini une raison d’être et établi des comités ad hoc.La raison d’être de La Poste est formulée comme suit : « Au service de tous, utile à chacun, La Poste, entreprise de proximité humaine et territoriale, développe les échanges et tisse des liens essentiels en contribuant aux biens communs de la société tout entière. » Cette déclaration illustre le lien entre les dimensions environnementale, humaine, organisationnelle, et l’inclusion sociale et territoriale, tout en anticipant les évolutions technologiques. Aujourd’hui, nos engagements sociétaux englobent la cohésion des territoires, l’inclusion sociale, ainsi qu’un numérique éthique, inclusif et frugal, sans oublier la transition écologique accessible à tous. La spécificité de La Poste, au-delà de s’être engagée précocement sur ces sujets, réside dans sa vision universelle, s’adressant à tous les citoyens sans distinction sociologique ou économique. Les dispositifs que nous développons, tant pour nos clients que pour nos collaborateurs internes, sont conçus pour être véritablement inclusifs, répondant non seulement à nos missions de service public mais aussi à nos convictions profondes.


Comment se traduit votre engagement pour l'inclusion sociale ?

La Poste est un employeur majeur, avec 233 000 employés au total, dont 180 000 en France. Cela représente un soutien direct et indirect à 444 000 emplois, illustrant l'impact significatif de notre entreprise sur l'écosystème économique et social français. Un aspect crucial de notre engagement envers l'inclusion sociale est l'accessibilité bancaire.
En outre, La Banque Postale, qui a une mission de service public dans ce domaine, sert 1,7 million de clients en situation de fragilité bancaire. Nous distribuons plus de 80% des prestations sociales françaises, facilitées par nos plus de 37 000 points de service, dont 17 000 points de contact (bureaux de poste, agences postales communales, relais poste commerçants) . Ces deux faits positionnent La Poste et La Banque Postale comme des acteurs clés de l’inclusion sociale en France. De plus, notre présence étendue sur le territoire renforce notre impact territorial. Par exemple, au-delà de nos services traditionnels comme le courrier et les colis, nous avons mis en place des services de distribution de plateaux-repas, avec 5 millions de repas livrés à domicile en 2023. Cette initiative contribue à notre engagement envers le « bien-vieillir », offrant un soutien essentiel aux personnes âgées incapables de préparer leurs repas.
Enfin, sur le front du handicap, La Poste est le plus grand employeur de bénéficiaires de l’obligation d’emploi en France, avec un taux d’emploi de personnes handicapées de 9,33% en 2023, bien au-dessus du seuil légal de 6%. Nous employons environ 14 000 travailleurs handicapés, et nous nous concentrons particulièrement sur le maintien dans l’emploi, adaptant les postes de travail et facilitant la mobilité interne pour permettre aux employés de déclarer leur situation et de demander des aménagements nécessaires.


Avez-vous des exemples de récentes initiatives RSE ?

Il y a notamment le programme « Déclic », qui est une forme de mécénat de compétences permettant des actions ponctuelles en soutien aux associations et qui a rencontré un vif succès auprès de nos salariés. De plus, nous avons établi de nouveaux partenariats, par exemple avec la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), et mobilisé nos équipes pour des « CleanUp Days ». Ces activités sont conçues pour immerger nos employés dans l’environnementalisme, affectant ainsi tant leur sphère professionnelle que personnelle. La RSE ne concerne pas seulement les aspects contractuels de l’emploi ; elle touche les individus en tant que citoyens et en tant que personnes. Cela a transformé ces initiatives en véritables leviers de changement. C’est pourquoi nous avons capitalisé sur cette dynamique pour développer des programmes impliquant tous les niveaux de l’organisation, des Comex* aux Codir, tous sensibilisés aux enjeux de la RSE. Le défi réside maintenant dans la diffusion de ces valeurs à travers toute l’entreprise. Il est, selon moi, plus efficace de partir de la base : que puis-je faire à mon niveau pour contribuer à un environnement de qualité ? Sur nos plateformes industrielles, par exemple, nous nous engageons dans la replantation d’arbres, activité à laquelle participent les salariés. Nous explorons également des solutions comme la géothermie. Ces initiatives doivent être intégrées dans le quotidien de chacun pour être alignées avec la mission de l’entreprise, notre raison d’être, et la stratégie globale du groupe. C’est par une participation active et quotidienne que nous parvenons à obtenir des résultats concrets, passant de simples incantations à des réalisations tangibles.

Quels sont vos engagements en matière de responsabilité numérique ?

Nous mettons un accent particulier sur la confiance, ce qui inclut la protection des données personnelles et l'assurance que ces données ne seront pas vendues. Nos processus d'intelligence artificielle, que nous développons en interne ou via des partenaires, sont soumis à des cahiers des charges éthiques stricts. Nous privilégions également l'utilisation de technologies frugales, alignées avec nos principes éthiques. Cette approche n'est pas seulement routinière dans l'utilisation de l'IA et du numérique ; elle distingue La Poste par son orientation unique. De même, nos technologies digitales sont conçues pour être universellement accessibles, renforçant ainsi notre mission d'entreprise au service de tous. Nous avons également établi des comités éthiques et nous nous efforçons de traduire ces principes éthiques en actions concrètes au sein de nos processus RH. Enfin, nous visons à implémenter des solutions qui ne sont pas seulement fonctionnelles, mais véritablement utiles.

Quels sont vos premiers cas d’usages de l’IA en Ressources Humaines ?

Pour rendre l'IA véritablement utile aux postiers, nous avons développé et sommes actuellement en phase d'expansion d'une initiative appelée "Proxi Job". Ce système utilise l'IA pour identifier des postes plus proches du domicile des employés, réduisant ainsi leurs défis logistiques liés au transport et, par répercussion, leur fatigue. Cette expérimentation, débutée en région parisienne, s'étend désormais à d'autres régions. Depuis 2020, nous avons également intégré un chatbot RH nommé "Click RH", qui répond aux questions des employés. L'objectif est de transformer ce chatbot en un assistant virtuel plus complet grâce à l'IA, renforçant ainsi l'interaction et le soutien aux salariés. Un autre projet en cours utilise l'IA pour aligner les aspirations professionnelles des employés avec les opportunités disponibles. Par exemple, un employé souhaitant devenir data analyst peut être automatiquement informé des postes correspondants disponibles, facilitant ainsi sa progression de carrière grâce à une suggestion automatisée, similaire à la logique de "next best offer" utilisée dans les services bancaires. Nous expérimentons également l'utilisation de l'IA pour un premier tri des CV, permettant un appariement intelligent entre les descriptions de postes et les candidatures reçues. Cela accélère le processus de recrutement et améliore la gestion des candidatures dans un marché de l'emploi tendu. Toutes ces initiatives sont conçues non seulement pour faciliter le travail des RH, mais surtout pour apporter une valeur ajoutée concrète aux postiers. L'objectif est de concevoir des solutions qui enrichissent véritablement la vie professionnelle de nos employés.

“Nos processus d'intelligence artificielle, que nous développons en interne ou via des partenaires, sont soumis à des cahiers des charges éthiques stricts”

Comment faciliter l’adoption des évolutions numériques ?

Un axe important est celui d’intégrer au quotidien de chaque employé de petites améliorations concrètes qui démontrent l'application pratique de ces compétences numériques. Ainsi, depuis plusieurs années, La Poste a intégré le numérique dans les opérations quotidiennes de ses employés, notamment par l'utilisation de Facteo, un smartphone qui permet aux facteurs d'effectuer toutes leurs opérations. Cette introduction d'outils concrets dans le travail quotidien des facteurs, et naturellement dans les bureaux de poste, représente les premiers pas vers une digitalisation plus poussée. Ces applications, qui évoluent et s'enrichissent progressivement d'intelligence artificielle, illustrent une transition douce plutôt qu'une rupture brutale. Ce que j'observe, c'est que souvent, on anticipe des ruptures majeures avec l'avènement de nouvelles technologies. Cependant, bien qu'il y ait des ruptures technologiques, les changements organisationnels se déroulent progressivement, intégrés dans le flux quotidien du travail. En tant que DRH, il est essentiel de s'assurer que tous les employés sont prêts à accepter et à s'engager dans un apprentissage continu et une adaptation constante. Il est crucial de comprendre qu'en dépit des avancées technologiques, nous devons éviter les ruptures brusques sur le plan humain. Au contraire, nous devrions viser une continuité.

Vous avez créé, il y a deux ans, une école dédiée à l’IA et à l’analyse de données, pouvez-vous nous en dire plus ?  

La Poste a effectivement mis en place une école dédiée à l’IA et à l'analyse de données, afin de répondre à la difficulté de recruter des talents dans ces domaines. Une caractéristique notable de cette école est son engagement en faveur de la parité : nous veillons à ce que le nombre de femmes et d'hommes soit équilibré, ce qui est encore rare dans ce secteur. L'école est ouverte à un large éventail de candidats, y compris ceux en reconversion professionnelle, qu'ils soient jeunes ou moins jeunes, venant de l'extérieur ou parmi nos postiers actuels. Nous adoptons un processus de sélection axé sur la motivation et le comportement, plutôt que exclusivement sur les antécédents académiques. Ceci permet à des personnes qui n'auraient pas eu accès à d'autres institutions d'entrer dans notre programme. Nous collaborons avec plusieurs partenaires académiques, comme Simplon, pour offrir une formation certifiante dans des métiers tels que data analyst, développeur, concepteur… À noter que cette initiative ne se limite pas à répondre aux besoins internes de La Poste; elle joue également un rôle social et sociétal important. En formant des personnes qui pourraient ne pas avoir d'autres opportunités éducatives, nous facilitons leur intégration dans notre entreprise ou leur entrée sur le marché du travail avec des qualifications prisées. Ainsi, l'école contribue à la fois à l'inclusion sociale et à l'enrichissement des compétences disponibles sur le marché du travail.

Quelle est votre stratégie de formation au numérique ?

Nous avons élaboré un vaste programme de formation qui, d'ici 2025, permettra à tous les postiers d'être formés au numérique. Cet objectif fait partie intégrante de notre plan stratégique et sera atteint sous l'intitulé “Cap compétences numériques”. La sensibilisation et la formation à différents niveaux sont essentielles et doivent être effectuées de manière continue. Cela est d'autant plus nécessaire que le domaine évolue rapidement et que, comme pour toute formation, la répétition est cruciale pour renforcer les acquis. La principale difficulté réside dans la rapidité de l'évolution technologique, ce qui rend difficile la planification à moyen terme des compétences futures. Selon moi, l’approche à privilégier est celle de l’apprentissage continu.

Comment voyez-vous l'évolution du rôle de manager ?

L’orientation n’est pas vers une rupture radicale, mais vers une évolution progressive et quotidienne. Historiquement, nous avons assisté à un changement de paradigme où le manager, initialement perçu comme un expert, est devenu un leader capable de donner du sens et de créer de la cohésion au sein de son équipe. Cette transition s'explique par le fait que, dans un monde où l'accès aux données est universel, l'expertise technique, bien qu'importante, n'est plus suffisante. Les compétences interpersonnelles, ou "soft skills", deviennent donc cruciales pour la réussite de l'entreprise et pour maintenir l'engagement des collaborateurs. En parallèle, le rôle des RH évolue également, passant d'une fonction technique à un rôle davantage axé sur le service aux employés, qui sont de plus en plus considérés comme des clients. Cette perspective change la manière dont les RH abordent les besoins des employés : au lieu d'appliquer un programme uniforme à tous, il est crucial de reconnaître et de répondre à la diversité des besoins individuels. Cela s'applique à tous les aspects des RH, que ce soit la gestion du temps de travail, l'organisation ou la formation. Cette capacité à personnaliser les approches reflète une tendance croissante dans le domaine des ressources humaines.

Quels sont les prochains défis en Ressources Humaines ?

La valorisation croissante de l'individualité dans le monde du travail pose effectivement un défi important pour les entreprises. Il devient essentiel de concilier le besoin de cohésion sociale, toujours primordiale au sein de l'organisation, avec la reconnaissance et le soutien personnalisés des employés. Cela exige une adaptation des outils et méthodes de gestion pour répondre aux besoins spécifiques de chaque collaborateur, tout en préservant un cadre collectif fort. C’est dans cette optique que nous envisageons l’introduction d’un "CRM collaborateur". Ce concept reposerait sur l’utilisation de l’intelligence artificielle pour ajuster les propositions de postes, les lieux de travail et les modalités de temps de travail en fonction des étapes de vie de chaque employé.

Cette approche prend en compte le fait que les besoins des employés évoluent avec le temps. Par exemple, les responsabilités familiales peuvent fluctuer, ou des situations d’aidance peuvent survenir. Traditionnellement, les RH se concentraient principalement sur les aspects contractuels du travail. Aujourd’hui, il est tout aussi crucial d’inclure les éléments personnels qui influencent la vie professionnelle. Une telle approche plus holistique est particulièrement pertinente dans une entreprise comme la nôtre, où les employés ont souvent des carrières longues. Offrir un soutien personnalisé tout en maintenant une forte cohésion de groupe pourrait devenir un levier clé pour renforcer à la fois l’engagement des collaborateurs et la performance globale de l’entreprise.

“Il est crucial de reconnaître et de répondre à la diversité des besoins individuels”

Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération

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