

Sommaire de l'ouvrage

Quels sont les impacts de la crise sanitaire sur le monde du travail ?
La crise sanitaire a été un véritable catalyseur majeur en matière de RSE, engendrant une prise de conscience généralisée, qui a également eu un impact significatif sur les entrepreneurs. Cela les a poussés à améliorer leurs compétences, notamment dans le domaine numérique, adoptant des pratiques telles que le travail à distance, utilisant des outils comme Zoom et Teams. Par ailleurs, face au rappel que la vie peut rapidement s’arrêter et qu’il vaut mieux mener une vie porteuse de sens, un phénomène notable s’est produit en 2022 : environ 500 000 mouvements professionnels ont été observés, liés à cette recherche de sens mais aussi à la nécessité d’une rémunération adéquate pour faire face aux défis économiques. Nombreux ont ainsi repris la responsabilité de leur parcours professionnel, que ce soit en tant que salarié ou entrepreneur, sans garanties de sécurité professionnelle, mais dictés par des aspirations personnelles profondes.
Et plus précisément sur les engagements durables des entreprises ?
Lors de la crise sanitaire, nous avons observé des discours initiaux qui tendaient à mettre un frein aux enjeux durables. Toutefois, il est rapidement apparu qu’il était crucial de ne pas abandonner ce combat. L’engagement envers le développement durable a donc été vigoureusement repris, souligné par une volonté ferme de maintenir et d’accélérer le développement de nos activités post-crise, mais de manière écologique. Ce regain d’engagement a été soutenu par la législation européenne, qui a trouvé des échos au niveau national. Il est intéressant de noter qu’immédiatement après la crise sanitaire, il y a eu une sorte de flottement, une hésitation, mais les principaux acteurs du marché ont rapidement pris la décision de poursuivre leurs efforts. Cette décision était motivée par les implications à long terme sur le développement des activités et les risques de rupture de financements. Pour contrer le réchauffement climatique et soutenir les entreprises, divers outils et accompagnements ont donc été mis en place, permettant une accélération des initiatives vertes.
En quoi la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) représente un changement profond ?
Nous organisons des tournées CSRD dans nos directions régionales pour sensibiliser et informer les entrepreneurs et nous nous occupons de la gestion de ces sujets pour Bpifrance en tant qu’entité. Il s’agit de la première transformation culturelle majeure touchant nos métiers et nos structures organisationnelles, car elle nous amène à reconsidérer l’ensemble de l’entreprise sous les angles du risque et de l’impact, alors que celui-ci était auparavant souvent sous-estimé, même au sein des grands groupes. Nous avons observé que, dans le passé, même les grands groupes maîtrisaient l’analyse des risques mais négligeaient l’aspect impact. Nous réalisons maintenant que les deux sont indispensables. Cette exigence implique que nos opérations courantes, que ce soit dans le secteur bancaire ou l’investissement, ainsi que les futures opérations de création de valeur, doivent être évaluées à travers ce prisme. Aujourd’hui, il est évident que l’organisation, bien qu’elle soit perfectible, va se développer en intégrant des concepts de transformation. Peu importe les termes utilisés, risque et data seront demain au cœur de nos préoccupations et influenceront à la fois la direction financière et les directions qui avaient anticipé ces changements. Je pense notamment aux directions qui s’intéressaient aux domaines extra-financiers, qui avaient déjà pris en compte ces enjeux. Elles joueront un rôle crucial en tant qu’experts pour soutenir les autres métiers dans l’avancement de ces sujets et pour atteindre les objectifs fixés.
Comment la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) impacte la chaîne d'approvisionnement ?
Nous avons identifié des raccourcis d’interprétation de cette réglementation. Lorsque la CSRD a été introduite, certains pensaient peut- être qu’ils n’étaient pas concernés. Cependant, dans la chaîne d’approvisionnement, toutes les entreprises sont impliquées. Cela ressemble à ce qui se passe avec les émissions de carbone, où chaque entreprise peut être le Scope 3 d’une autre... Ainsi, avec la CSRD, les groupes qui répondent à deux des trois critères requis doivent effectuer des reportings. Pour cela, ils exigent déjà que des entreprises de toutes tailles, y compris des TPE, PME et ETI, intègrent dans leurs modèles des questions spécifiques et une certaine granularité, qui ne sont pas aussi complètes que celles demandées aux entreprises assujetties à cette réglementation. De ce fait, une TPE par exemple qui n’a pas encore commencé à réaliser un bilan carbone ou à examiner ses flux et à se questionner sur son secteur d’activité doit s’y atteler sans tarder.
Comment BPI France accompagne les entreprises sur ces sujets d’accélération durable ?
L'économie circulaire, par exemple, repose sur une bonne compréhension des enjeux locaux et sur ce sujet, il y a encore des progrès notables à faire. En outre, concernant la biodiversité, nous faisons face à un niveau de complexité encore plus grand. Considérant que près de 50 % du PIB mondial repose sur des ressources liées à la nature, qui ne sont pas toujours valorisées financièrement, et que la plupart des secteurs utilisent ces ressources naturelles, nous sommes confrontés à une complexité immense, secteur d’activité par secteur d’activité. Il est crucial d'aborder ces problématiques avec méthode, en commençant par tracer et rationaliser les flux de ressources. Nous devons mesurer l'utilisation effective dans la chaîne de production et voir comment une entreprise peut, par des modèles alternatifs, opérer de manière plus sobre et moins polluante. Nous accompagnons de nombreuses entreprises avec différents diagnostics et proposons les accompagnements nécessaires, car il ne s’agit pas seulement de bon sens ; il est primordial de se faire aider. Enfin, avec l'arrivée de nouvelles réglementations comme la CS3D, les grandes entreprises qui sont déjà conformes auront des attentes vis-à-vis de leurs fournisseurs, ce qui pourrait engendrer certaines difficultés… Il est essentiel de soutenir toutes les entreprises.
Y compris les entreprises intensivement carbonées ?
Nous gérons cette question avec beaucoup de conviction. Il nous est souvent demandé, par différentes entités telles que la BCE et autres régulateurs, comment nous abordons les entreprises intensivement carbonées. Notre réponse est toujours la même : si nous ne nous engageons pas, qui le fera ? Il est impératif de s’engager avec toutes les entreprises, y compris celles qui sont très émettrices. Notre politique est de soutenir le financement et l'investissement dans ces entreprises, à condition qu'elles s'engagent dans un plan d'action visant à réduire leur empreinte carbone, sur une trajectoire visant la neutralité au sens de l’Accord de Paris. Nous disposons des ressources financières et des outils d'accompagnement nécessaires pour soutenir ces transformations. Nous avons même inclus, littéralement, l'approche du porte-à-porte des entreprises pour les aider et les convaincre dans notre stratégie. Nos chargés d'affaires financement rencontrent les entreprises françaises pour les encourager à s'engager, en leur proposant des outils de diagnostic et en leur rappelant qu'elles ne sont pas seules dans cette démarche et qu'elles peuvent compter sur notre soutien pour financer leur développement. Nous disposons par ailleurs de ressources telles que le VTE vert et nous avons mis en place des communautés pour faciliter ce processus, notamment la Communauté du Coq Vert.
Comment la data peut-elle servir d'accélération durable ?
Un enjeu devient prédominant et traverse toutes les fonctions de l'entreprise : la gestion des données. Nous anticipons que dans les trois à cinq prochaines années, le triptyque risque-data-impact dominera les pratiques professionnelles. La question de savoir si les directions financières et du développement durable subsisteront sous leur forme actuelle est, à mon avis, secondaire. L'essentiel est de ne pas perdre de vue l'objectif ultime : évaluer correctement l'impact dans le but de réduire les risques tout en créant de la valeur. Il est crucial de disposer de données qualifiées qui fournissent une base solide pour la mesure, l'analyse, la production de rapports et l'intégration dans les évaluations financières et extra-financières. Tout cela afin de proposer des pistes d’actions concrètes et des trajectoires pour arriver aux résultats souhaités. Ce processus nécessite une collaboration étroite entre différentes compétences et départements au sein de l'entreprise.
Comment BPI France intègre la gestion des risques de cyberattaques ?
Il est vrai que le sujet de la cybersécurité devient prépondérant, surtout dans le contexte actuel où, comme on l'a observé lors des Jeux Olympiques de Pékin, des cyberattaques intervenaient toutes les huit secondes… Ce risque majeur affecte également les structures critiques comme les hôpitaux, ce qui s'avère être une grande préoccupation, surtout pendant une crise sanitaire où des équipements essentiels comme les respirateurs peuvent être ciblés. Cela soulève donc un besoin urgent pour les entreprises de réfléchir à leur protection en matière de cybersécurité, de protection des données et d'intelligence économique. Nous observons que certains risques sont bien identifiés et d'autres émergent. Pour certains, des solutions existent déjà, tandis que pour d'autres, elles restent à développer. C’est pourquoi nous allons proposer des produits spécifiques pour aider les PME à se protéger contre ces risques, en plus de soutenir leur croissance et leur capacité à créer de la valeur et de l'emploi.
Comment abordez-vous l’accélération IA & digitale ?
Il est fascinant de constater à quel point le numérique est omniprésent. Lors de discussions avec des dirigeants d’entreprises de l’IT, ils rapportent que la demande est faite à tous leurs employés d’utiliser quotidiennement les outils numériques, ce qui se traduit par des gains de productivité pouvant aller, en fonction des métiers, jusqu’à plus d’une heure par jour, ce qui est considérable. En parallèle, d'autres entreprises s'interrogent sur l'utilisation quotidienne de technologies comme GPT-3, question qui préoccupe nombre de leurs employés. À ce titre, nous avons adopté une approche proactive pour familiariser chacun avec des outils comme ChatGPT. Cependant, cette évolution suscite naturellement également des craintes. La crainte de s’engager dans ces nouvelles pratiques n'est pas un obstacle en soi ; le véritable enjeu est d'intégrer ces technologies de manière réfléchie. Cela va conduire à repenser les modèles d'affaires pour optimiser l'utilisation des ressources. Cette réflexion organisationnelle est cruciale. Il est également intéressant de noter que cette transition n'est pas une question d'âge : ce ne sont pas toujours les plus jeunes qui sont les plus à l'aise avec le numérique.
D’un point de vue organisationnel, comment se projeter sur le long terme ?
Le contexte actuel nous oblige à considérer les enjeux d'impact sur le moyen-long terme et à nous projeter jusqu'en 2030. Cela me rappelle un fascicule issu d'une collaboration entre HEC, l'ENA et l'École de guerre intitulé "Agir dans l'incertitude", qui reflète parfaitement ce défi de naviguer entre action immédiate et planification à long terme. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à des incertitudes majeures, notamment en termes de changements climatiques et de transformation numérique. Le changement climatique, en particulier, pose des questions sur la rapidité de la dégradation environnementale, ce qui requiert une réaction agile et rapide de la part des entreprises. Il n'est plus possible d'adopter une vision industrielle à long terme trop rigide; au contraire, il est crucial de maintenir une vitesse de transformation élevée et soutenue. La crise a d’ailleurs souligné l'importance de l'agilité organisationnelle.
Nous observons aussi un phénomène de redéfinition des repères au sein des organisations d'entreprise. Les dynamiques internes sont en pleine transformation, stimulées par l'accent croissant mis sur les enjeux environnementaux, sociaux et numériques. Cette situation provoque une multitude de questionnements sur l'organisation des entreprises, notamment au niveau des directions financières, de conformité, des systèmes d'information, des risques, ainsi que du développement durable. Le défi majeur réside dans la nécessité pour ces acteurs, qui auparavant pouvaient opérer de manière plus verticale, de collaborer étroitement entre elles. Cette collaboration est désormais indispensable, peu importe la taille ou le secteur de l'entreprise, reste à savoir comment l’orchestrer. Chaque domaine, que ce soit la conformité, la gestion des risques, la gestion des données avec l’IT, l'impact ou la durabilité, doit réécrire ses propres règles de fonctionnement et d’interactions dans une logique d’interopérabilité, en tenant compte de la convergence des aspects financiers et extra-financiers.
Quels sont les changements managériaux ?
Les entreprises doivent non seulement attirer de nouveaux talents, mais aussi les retenir sur le long terme, en créant un environnement favorable et en répondant authentiquement à leurs préoccupations. Cela va au-delà des approches cosmétiques, exigeant un engagement profond et sincère en matière de bien-être des employés et de durabilité de l'entreprise. Ce nouveau paradigme nécessite que les leaders d'aujourd'hui, et encore plus ceux de demain, développent la capacité de mobiliser leurs équipes rapidement et efficacement, adaptant leurs stratégies en temps réel pour répondre aux défis émergents. Cela implique également de créer un climat de travail où l'importance de chaque action est bien comprise, où l'innovation est encouragée, et où la productivité est améliorée grâce à l'adoption judicieuse de nouvelles technologies. Dans ce contexte, chaque dirigeant est appelé à agir avec détermination, à définir clairement ses objectifs et à cultiver une agilité qui permettra à son entreprise de naviguer avec succès dans un avenir incertain et passionnant. Nous sommes quelque part sur le concept du « dirigeant augmenté ».
L’engagement durable : une mobilisation de l’entreprise et des collaborateurs ?
En effet, une entreprise performante inclut une équipe de direction consciente et engagée, qui intègre pleinement la durabilité dans le plan stratégique, mais aussi des salariés qui vont permettre de pousser l'entreprise vers des actions concrètes. Ainsi, nous observons deux éléments fondamentaux : d'une part, l'impulsion du haut qui peut catalyser l'initiative, et d'autre part, la pression du bas qui doit être prise au sérieux par la direction. Il est donc crucial de trouver le juste équilibre entre l'implication de la direction et celle des salariés. Cela inclut la gestion et le pilotage participatifs de l'entreprise : comment établir les bonnes mesures, comment susciter l'adhésion et prendre en compte les opinions de tous. Les sujets extra-financiers tels que la mobilité, l'alimentation, la pollution, la rareté de l'eau et le climat sont des thèmes qui nous touchent tous, non seulement au travail, mais aussi dans notre vie privée. Il existe donc un continuum entre la vie professionnelle et personnelle qui augmente la pression et les exigences sur ces questions. C'est un phénomène relativement nouveau dans l'équilibre et l'ergonomie des entreprises. Les maîtres mots pour nous sont donc cohérence dans les actions et alignement avec la stratégie.
Observez-vous une nouvelle dynamique dans la relation marque-employé ?
Les salariés aspirent désormais à plus de flexibilité, transformant le travail à distance de conceptuel en pratique courante. Cette nouvelle réalité souligne un changement significatif dans la dynamique employeur-employé : ce n'est plus seulement l'entreprise qui sélectionne ses collaborateurs, mais l'entreprise doit séduire et convaincre pour attirer les nouveaux talents. Elle doit démontrer qu'elle a créé un environnement de travail attractif et qu'elle aborde ses engagements RSE avec sincérité et profondeur. Les entreprises qui continuent de traiter ces aspects de manière superficielle sont confrontées à des défis majeurs, tant en termes de rétention de leurs talents actuels qu'en matière d'attractivité pour de potentiels nouveaux collaborateurs.
Quel rôle peuvent jouer les écoles dans cette transformation d’impact ?
La dimension des jeunes et de leur emploi fait partie depuis l’origine de nos piliers dans notre Charte RSE. Nous sommes très proches des écoles qui forment les jeunes et avons même co-créé des programmes de master pour aider les étudiants à être préparés différemment et plus efficacement aux enjeux auxquels nous devons faire face. L'objectif est de s'assurer que les prochains dirigeants puissent efficacement adresser toutes ces problématiques complexes, ce qui est loin d’être simple aujourd’hui. Les écoles doivent donc repenser radicalement leurs programmes pour préparer adéquatement les jeunes. Le véritable discriminant sera là, et nous observons déjà de grands changements dans les écoles. Aujourd'hui, l'enjeu est moins de suivre des programmes académiques linéaires que de développer des aptitudes et la capacité à agir efficacement face aux défis actuels et à venir.
“Le changement climatique pose des questions sur la rapidité de la dégradation environnementale, ce qui requiert une réaction agile et rapide de la part des entreprises”
Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération