témoignage Triple accélération

L’impact positif devient une partie intégrante de la culture d'entreprise

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Nicolas Neykov
Président - Directeur Général
FERRERO FRANCE
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Sommaire de l'ouvrage

“Notre priorité est de garantir la protection et la confidentialité des données dans toutes nos opérations”

Le Groupe Ferrero a lancé, il y a deux ans, un plan stratégique ambitieux visant à porter l’entreprise à un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros, tout en s'engageant dans une démarche responsable et durable.

Comment se traduit votre parcours de transformation au sein du Groupe Ferrero ?


Dans notre parcours de transformation chez Ferrero France, nous avons traversé une période marquée par une convergence et une interdépendance significatives entre la digitalisation et l'organisation, toutes deux essentielles pour soutenir les ambitions de nos actions stratégiques. La pandémie a alors agi comme un catalyseur dans ce processus, provoquant une rupture nette dans nos méthodes de travail et accélérant le passage à un modèle de travail hybride, caractérisé par une plus grande flexibilité. Cette adaptation rapide était cruciale pour assurer la continuité de nos activités. Notre stratégie a alors intégré trois piliers essentiels : la responsabilité, la durabilité et la transformation digitale. A cela s'ajoutent des défis liés au recrutement et à la formation de nos collaborateurs, et plus spécifiquement, liés au leadership dans un contexte de transformation. C’est pourquoi nous avons développé une communauté de managers, où chacun agit comme premier relais du comité de direction.
Par ailleurs, notre approche en matière de responsabilité environnementale, et plus particulièrement pour réduire notre impact carbone, s'est intensifiée. Bien que notre attention ne soit pas exclusivement portée sur le Green IT, nous reconnaissons que les principales sources de notre empreinte carbone incluent le transport, les infrastructures et l'alimentation. Nous avons également entrepris des initiatives spécifiques dans le domaine du numérique, avec l'organisation notamment d'une "fresque du numérique" visant à engager nos équipes de développement et IT dans le suivi de notre impact environnemental. Notre volonté est d’intégrer de manière transversale la RSE dans nos activités quotidiennes.
Enfin, pour naviguer à travers l'abondance de projets en cours, la mise en place de la méthode OKR a été cruciale, nous aidant à définir clairement nos priorités et à organiser notre feuille de route. Cette méthode nous réunit encore tous les trois mois pour réévaluer nos objectifs et ajuster notre stratégie en fonction des défis et opportunités émergents, comme ceux posés par l'avènement de l'intelligence artificielle générative.

Quelle organisation a été mise en place pour soutenir cette évolution ?


Notre vision future s'articule autour d'un triptyque essentiel : raison d'être, ambition et valeurs, c’est ce qui oriente notre stratégie à long terme. Et bien que le futur que nous envisageons ne s'étende pas sur dix ans, en raison de la volatilité de notre environnement, nous adoptons une perspective quinquennale, soutenue par la nature familiale de notre entreprise. Cette dernière nous offre une certaine latitude et une résilience face aux fluctuations du marché, constituant un avantage distinctif dans notre développement. La question fondamentale de notre existence est au cœur de notre réflexion stratégique : nous existons pour éveiller chaque matin chez nos consommateurs l’envie de moments de plaisir partagé. Cette raison d'être définit clairement nos objectifs et notre position de leader du plaisir en France.
Ensuite, en termes organisationnel, le comité de direction a pour responsabilité de définir des axes stratégiques majeurs pour atteindre nos objectifs à cinq ans, tandis que notre communauté de leaders se concentre sur la manière de nourrir ces axes à moyen terme, sur deux ans, pour concrétiser notre vision. Nous évitons de fixer des plans rigides sur cinq ans, estimant qu'un tel exercice serait trop contraignant. Notre approche consiste plutôt à équilibrer nos aspirations à long terme avec des actions concrètes à moyen terme, en maintenant une dynamique qui allie ambition et réalisation pratique. Cette dualité temporelle nous permet de poursuivre nos rêves et de guider Ferrero vers son futur souhaité, tout en restant ancrés dans la réalité des défis à relever et des opportunités à saisir.


Quelles sont vos  initiatives durables Ferrero et en particulier en lien avec le Scope 3 et les stratégies d'approvisionnement ?


Dans le cadre de nos engagements durables chez Ferrero, notamment en ce qui concerne le Scope 3 et l'approvisionnement, nous faisons face à des défis majeurs liés à la nouvelle législation européenne interdisant la déforestation importée à partir de 2024. Cette législation concerne plusieurs matières premières clés pour notre industrie, telles que le cacao, l'huile de palme, le bois, pour les commodités nous concernant. Elle exige donc des entreprises comme la nôtre qu'elles garantissent une traçabilité complète, assurant que chaque gramme de ces matières premières entrant dans l'Union européenne soit certifié et conforme. Pour répondre à ces exigences, nous avons mis en place des partenariats stratégiques, notamment avec Airbus, pour utiliser le contrôle satellite afin de valider la traçabilité de notre cacao et de notre huile de palme. Ce travail de traçabilité s'étend non seulement à l'importation des matières premières, en conformité avec la réglementation européenne prévue pour décembre 2024, mais aussi à la sécurité alimentaire. L'objectif est de prouver notre conformité au régulateur et d'assurer une traçabilité sans faille de tous nos produits, qu'il s'agisse d'ingrédients ou de produits finis.

Le Scope 3 représente 93% de notre empreinte carbone chez Ferrero, soulignant l'importance capitale de cette catégorie dans notre bilan global. Les 7% restants, bien qu'ils représentent une fraction plus petite de notre empreinte, sont néanmoins cruciaux et font l'objet d'une attention particulière à travers plusieurs initiatives clés. Nous nous concentrons aussi spécifiquement sur le secteur laitier, qui constitue la moitié de notre empreinte carbone liée aux matières premières. Nous avons par exemple demandé une étude sur les pratiques d'élevage et leur impact sur les émissions de carbone, telles que la différence entre 300 jours et 100 jours passés à l'extérieur par les animaux. En parallèle, nous nous attachons à réduire l'empreinte carbone de nos activités industrielles. Nous déployons des efforts considérables pour décarboner nos usines, en investissant dans l'énergie verte, l'indépendance énergétique et la neutralité carbone. Des projets ambitieux sont en cours, tels que l'installation de panneaux solaires et la conversion de nos brûleurs industriels à l'électricité, reflétant notre engagement à faire des choix responsables, même s'ils impliquent des investissements qui ne se traduisent pas directement par une augmentation du volume ou des affaires. La recyclabilité de nos emballages constitue également un axe majeur de notre stratégie RSE. Nous progressons conformément à une feuille de route influencée par la loi AGEC et les Accords de Paris, veillant à ce que nos emballages soient de plus en plus durables et respectueux de l'environnement.

Et concernant l'économie circulaire ?

Notre posture est celle de l'exploration active et de l'évaluation rigoureuse des initiatives potentielles. Actuellement, nous testons le concept de Nutella en pots consignés. Cette approche vise à réduire les déchets en réutilisant les contenants de verre plutôt que de les jeter. Toutefois, cette démarche soulève des questions environnementales importantes liées à la logistique de récupération, au nettoyage des bocaux nécessitant une quantité significative d'eau, et au transport, étant donné que le lavage se fait loin du site de production, augmentant alors l'empreinte carbone … Par conséquent, nous continuons à explorer cette voie pour évaluer sa viabilité à plus grande échelle.
Parallèlement, nous envisageons le renforcement des filières de recyclage comme une alternative potentielle. Actuellement, nous faisons face à une limitation dans le recyclage du verre dû à la nécessité de séparer le verre blanc du verre vert pour maintenir la transparence du verre. Nos bocaux de Nutella incorporent jusqu’à 30% de verre recyclé, mais augmenter cette proportion compromettrait la qualité esthétique du produit. L'amélioration des technologies de tri, notamment par la reconnaissance visuelle, pourrait offrir une solution à ce défi.

Comment le groupe Ferrero aborde-t-il les défis liés à la conformité réglementaire dans un environnement commercial en constante évolution ?

Notre posture vis-à-vis de la compliance s'appuie sur une approche proactive et responsable, sans que cela soit perçu comme un frein à notre activité, notamment en ce qui concerne le respect du cadre légal et des réglementations telles que la loi Sapin. Nous suivons un agenda de compliance rigoureux et adoptons une démarche d'auto-régulation, en particulier en raison de la nature de nos produits : conscients que nous commercialisons des produits riches en graisses et en sucres, nous veillons à adopter une approche équilibrée et durable, prenant en compte les enjeux de santé publique. La compliance constitue donc un cadre qui nous permet de nous assurer que notre développement se fait de manière responsable.

Quelle est votre posture vis-à-vis de l’utilisation des données et de l’intelligence artificielle ?

Notre engagement éthique se fonde sur une gestion rigoureuse et responsable de la data. À mesure que nous augmentons l'utilisation des données, il devient impératif de s'assurer que celles-ci sont non seulement sécurisées, mais aussi correctement gérées et mises à jour. La sécurisation des données est une priorité qui prévaut avant même l'intégration de l'IA dans nos processus, compte tenu de son importance cruciale dans la protection des informations de nos consommateurs. Au niveau du groupe, nous avons mis en place des structures de gouvernance dédiées à la data, responsables de sa mise à jour et de sa sécurité. Ces structures jouent un rôle essentiel dans la définition de qui détient la responsabilité de la data, assurant ainsi une gestion conforme et éthique de nos informations. Quant à l’utilisation de l'IA, notre focus se porte davantage sur les questions de sécurité liées aux consommateurs plutôt que sur les dilemmes éthiques traditionnellement associés à l'IA. Cela ne signifie pas que les enjeux éthiques sont négligés, mais plutôt que notre priorité est de garantir la protection et la confidentialité des données de nos consommateurs dans toutes nos opérations.

Quels sont les changements organisationnels opérés ?

Face à l'évolution de la structuration organisationnelle au sein de Ferrero, nous constatons que l'adoption d'un modèle de travail hybride et l'intégration accrue des données engendrent une complexité croissante. Cette complexité est exacerbée par la diversité des typologies de consommateurs et de clients, rendant l'environnement commercial plus rapide et changeant. Les collaborateurs perçoivent une accélération du rythme, suscitant un besoin de ralentir occasionnellement pour poser les choses et prendre du recul. Il devient donc impératif de simplifier certains processus et de gagner du temps, afin de ne pas se laisser submerger par une quête incessante de plus de rapidité et d'efficacité.
Dans ce contexte, la digitalisation et les projets d'intelligence artificielle (IA) doivent être envisagés non seulement en termes de gains immédiats mais aussi en considérant leur impact sur l'ensemble de la chaîne de valeur. Par exemple, l'implémentation d'un projet SAP peut, certes, générer des bénéfices pour l'entreprise, mais également créer des surcharges dans certains domaines tout en offrant des économies dans d'autres. Il est crucial d'identifier ces zones d'impact pour équilibrer les charges de travail et optimiser l'efficacité globale. La clé réside donc dans notre capacité à alléger les tâches des employés, leur libérant du temps pour des activités à plus forte valeur ajoutée, tout en reconnaissant la nécessité de trouver des moments de réflexion et de recul dans un monde qui s'accélère.

Comment les enjeux d'impact sont-ils intégrés au quotidien des collaborateurs ?

Il est essentiel d'aborder deux aspects fondamentaux : la communication interne et le leadership. Tout d'abord, il est crucial que chaque personne au sein de l'organisation comprenne le sens de son travail et la manière dont elle contribue à des objectifs plus larges d'impact social et environnemental. Les collaborateurs ont besoin de percevoir la valeur et le but de leurs actions, ce qui renforce leur engagement et leur motivation. Grâce à des stratégies de communication interne efficaces, amplifiées par les outils digitaux, nous pouvons démocratiser l'accès à l'information et sensibiliser l'ensemble des équipes aux initiatives d'impact de l'entreprise. Cela implique de partager régulièrement des actions, des réussites, et des études de cas qui illustrent concrètement comment les efforts individuels et collectifs contribuent à la réalisation de nos objectifs d'impact. Ensuite, le rôle du leadership est déterminant. Avant même de considérer le collaborateur comme un acteur de changement, il est impératif que les managers adoptent une posture de leader dans ce domaine. Ils doivent incarner les valeurs et les ambitions d'impact de l'entreprise, guidant par l'exemple et inspirant leurs équipes à s'engager activement. Les leaders doivent être formés pour intégrer les sujets d'impact dans les discussions quotidiennes tout comme dans les décisions stratégiques, et les processus opérationnels. Faire descendre les sujets d'impact dans le quotidien des collaborateurs nécessite donc une approche holistique qui combine une communication interne claire et accessible avec un leadership engagé et exemplaire.

Quelles stratégies le Ferrero adopte-t-il pour dépasser les résistances internes ?

Pour surmonter les freins et les objections au sein du groupe, il s’agit d’accorder une importance particulière au sens et à l'humain dans la démarche organisationnelle. L'enjeu central réside dans la capacité à créer des conditions concrètes qui permettent de traduire notre vision en résultats tangibles pour le business et dans le quotidien de nos collaborateurs. Je crois fermement en l'importance de questionner le sens de nos actions, en adoptant l'approche de se demander "pourquoi" plusieurs fois  pour creuser jusqu'à la racine de nos motivations et de nos objectifs. Et d’autre part, mon expérience m'a appris que c’est l’humain, et donc les collaborateurs qui font la différence. La présence de postes vacants, la qualité du leadership, la formation et la compréhension des équipes, ou encore la compétence des managers sont autant de facteurs déterminants. Le défi majeur auquel nous sommes alors confrontés - typique des grandes entreprises -  réside dans la gestion des managers intermédiaires. Ces derniers jouent un rôle crucial car ils se situent suffisamment près des équipes pour avoir un impact significatif, tout en étant relativement éloignés de la stratégie globale du groupe. Actuellement, mon intérêt se porte sur la manière de réduire cette distance et d'enrichir le leadership à ce niveau. L'objectif est de permettre à ces premiers managers de donner du sens à leurs actions et de déléguer efficacement.

Quelles mesures sont prises pour garantir le bien-être des collaborateurs ?

Notre posture navigue sur une ligne délicate entre les opportunités offertes par les technologies modernes, la vitesse et la connectivité du monde actuel, et la préservation de la santé mentale et physique de nos équipes. C'est un sujet qui nous passionne et sur lequel nous concentrons nos efforts. Il est courant de penser que plus le travail empiète sur la vie personnelle, plus l'équilibre entre vie professionnelle et personnelle est perturbé, impactant ainsi négativement le bien-être. Cependant, cette perception n'est pas entièrement exacte. En effet, la satisfaction, la gratification et la reconnaissance au travail peuvent contribuer positivement au bien-être, tant qu'elles restent dans des limites raisonnables. Nous mettons donc un point d'honneur sur la nécessité de célébrer les réussites : reconnaître les efforts, partager des moments de fierté et de joie sont essentiels pour maintenir une bonne santé mentale. Ces moments de respiration sont vitaux pour régénérer l'esprit et maintenir l'élan.
Nous travaillons également sur la capacité de nos équipes à se déconnecter et à respecter le temps personnel, reconnaissant ainsi l'importance du repos et de la déconnexion dans un monde où les limites sont toujours repoussées.

“Nous nous appuyons sur un modèle d'entreprise qui se distingue par son caractère familial, son innovation et son engagement durable”

Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération

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