témoignage Triple accélération

Notre ambition est de devenir un acteur majeur dans la transition énergétique

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Jean-Loup Loyer
Chief Data & Analytics Officer
ERAMET
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Sommaire de l'ouvrage

Eramet est un groupe minier et métallurgique français de stature mondiale, qui génère un chiffre d'affaires de 5 milliards d'euros et emploie 10 000 collaborateurs à l'échelle internationale. Comment l’entreprise a-t-elle abordé ces transitions durable, digitale et organisationnelle, en adoptant des méthodes plus proactives et prédictives ? L’IA et le machine learning sont alors au coeur des préoccupations d’optimisation et d’innovation.

Comment vous engagez-vous dans la transformation durable ?

Nous vivons actuellement un moment charnière, marquant le passage d’une économie dominée par les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) vers une économie électrifiée. Cette transformation nécessite le stockage efficace de l’électricité, principalement dans des batteries contenant des métaux critiques tels que le lithium, le cobalt, le manganèse et le nickel – tous produits par Eramet. Nous nous positionnons donc comme un acteur clé de cette transition, qui s’étendra sur plusieurs décennies, impliquant des ajustements complexes dans de nombreuses industries.

Et sur quelles temporalités ?

Notre stratégie à l’horizon 2030 s’inscrit pleinement dans cette vision. Étant dans l’industrie lourde, nous nous engageons dans des cycles d’investissement prolongés. Les explorations et études géologiques que nous menons aujourd’hui, par exemple, visent potentiellement à ouvrir des mines dans une dizaine d’années pour une exploitation qui pourrait durer cinquante ans. Quant à nos plans d’investissement, envisagés sur des périodes allant de cinquante à soixante-dix ans, ils s’appuient sur des hypothèses concernant la rentabilité économique, les parités monétaires, les avancées technologiques, l’évolution de la productivité ou encore, l’accessibilité des infrastructures locales nécessaires à nos opérations minières. Aussi, face à un contexte mondial en mutation, nous intégrons les enjeux de souveraineté et la nécessité de la transition énergétique dans notre vision à long terme. Le comité exécutif nous demande d’ailleurs d’élaborer une vision à cinq ans, définissant nos ambitions et les cibles à atteindre. Enfin, à court terme, nos actions se concrétisent dans nos budgets annuels, qui tiennent compte des objectifs environnementaux, sociaux, ainsi que des ressources disponibles et des prévisions de production.

Auriez-vous des exemples concrets ?

Un de nos projets phares en matière de durabilité est le partenariat avec Suez nommé « Relive », financé par l’Union européenne. Ce projet pilote, récemment inauguré, explore la faisabilité technique et économique du recyclage des batteries électriques. Bien que le marché européen du recyclage de batteries pour véhicules électriques soit encore naissant, nous anticipons une demande croissante dans les cinq à dix prochaines années, à mesure que le remplacement des batteries deviendra nécessaire. Notre ambition est donc de devenir un acteur clé dans ce domaine, en réduisant la nécessité d’extraction minière grâce au recyclage des métaux, qui peuvent être réutilisés presque indéfiniment. En effet, jusqu’à 90% des composants d’une batterie peuvent être recyclés. Cette approche des «mines secondaires» ou «mines urbaines» nous permet de récupérer les métaux des batteries usagées et d’autres objets du quotidien, évitant ainsi l’extraction primaire.
Autre exemple, nous collaborons avec BASF en Indonésie sur un grand projet visant à produire du nickel et du cobalt pour les batteries. Nos clients, tels que Ching Chan, ArcelorMittal et d’autres producteurs d’acier, utilisent nos métaux dans une variété de secteurs, notamment la construction, l’automobile et l’aéronautique. Nous sommes fiers de fournir les matériaux de base qui contribuent à leurs produits, jouant ainsi un rôle essentiel au début de la chaîne de valeur.

En quoi l’amélioration de vos pratiques de maintenance participe à votre performance ?

Dans notre secteur, caractérisé par une industrie lourde et des investissements conséquents, l’optimisation de l’utilisation de nos équipements miniers et de nos usines est cruciale pour notre rentabilité. Un aspect fondamental de cette optimisation réside dans l’excellence de notre maintenance. Historiquement, notre approche de la maintenance a été plutôt réactive, se concentrant sur la résolution des pannes après qu’elles se soient produites. Cependant, nous nous orientons désormais vers des méthodes plus proactives et prédictives. Nous sommes donc conscients de la nécessité d’améliorer nos pratiques de maintenance pour augmenter notre production et structurer plus efficacement nos opérations. La première étape consiste à collecter et à instrumenter des données. Ensuite, dans les deux à trois années à venir, nous envisageons d’exploiter ces données pour anticiper les besoins de maintenance et adopter une approche prédictive. Cela représente un enjeu majeur pour notre industrie et la rentabilité de nos opérations.

Qu’en est-il de votre transformation data et digitale ?

Au sein d'Eramet, la gestion des technologies de l'information (IT) est confiée à une équipe dédiée, tandis que je me concentre davantage sur les aspects digitaux et de data. L'accès en temps réel et fiable à nos principaux indicateurs financiers est crucial pour nous. Nous avons entamé notre transition vers le cloud il y a deux ou trois ans, avec une ouverture vers le multi-cloud, même si notre migration peut encore être optimisée. Par ailleurs, notre modèle d'affaires "B to B to C" signifie que nous interagissons avec un nombre restreint de clients, rendant l'expérience client à 360° moins pertinente pour notre contexte spécifique. Néanmoins, nous adoptons pleinement une culture orientée vers les données ("data driven") et le "care", qui se traduit notamment par la démocratisation du partage des données en interne, en veillant à ce que les bonnes personnes aient accès aux données pertinentes. Nous explorons également des collaborations avec des acteurs potentiels du secteur automobile, notamment les fabricants de batteries et le recyclage des batteries. Bien que ces initiatives en soient encore à leurs débuts, elles vont s'accélérer dans les années à venir à mesure que le marché des véhicules électriques se développe. Enfin, en matière de stratégie d'impact et de gestion de la chaîne d'approvisionnement, nous avons récemment publié un rapport CSRD exemplaire, complété par un outil Power BI qui illustre nos principaux indicateurs de performance liés à notre stratégie RSE. Notre ambition future est de collecter et potentiellement partager encore plus de données en open data, pour permettre un suivi plus détaillé de nos actions sur le terrain, au-delà des indicateurs stratégiques au niveau du groupe.

Vous avez également mis en place une data marketplace ?

En effet, c’est un projet sur lequel nous sommes activement engagés. Nous avons déjà initié ce processus, notamment en Norvège, mais il est essentiel d'accélérer et d'étendre ce déploiement à l'ensemble du groupe, tout en simplifiant son utilisation. Actuellement, l'accès aux données opérationnelles collectées à partir de tout équipement industriel et stockées sur le cloud nécessite une expertise spécifique en analyse de données, limitant cet accès à un public d'ingénieurs spécialisés en data et en programmation informatique. Notre objectif est de généraliser l'accès à ces données, en facilitant leur intégration sur le cloud de manière systématique et exploitable par tous au sein de l'entreprise. L'étape suivante concerne le partage de ces données avec notre écosystème. Par exemple, nous possédons une expérience précieuse accumulée dans nos bases de données sur le comportement de nos engins miniers dans différents environnements climatiques, comme en Nouvelle-Calédonie, en Indonésie, et au Gabon. Ces informations pourraient intéresser des entreprises minières canadiennes envisageant d'investir dans des zones inconnues, en leur fournissant des données sur la dégradation de l'équipement et les meilleures pratiques d'exploitation selon la géographie. Bien que nous n'ayons pas encore commercialisé ces données, le secteur minier s'oriente déjà vers de telles pratiques. Nous explorons donc les possibilités de monétisation de nos données en collaboration avec des entreprises spécialisées comme Dawex, tout en veillant à ce que cette démarche soit sécurisée et n'impacte pas négativement nos opérations.

Quels sont vos premiers cas d’usage de l’intelligence artificielle et de l’Internet des Objets (IOT) ?

L'intelligence artificielle (IA) et le machine learning sont au cœur de nos préoccupations depuis mon arrivée chez Eramet. Nous avons déjà réalisé des progrès significatifs, notamment dans l'amélioration de nos opérations métallurgiques grâce à l'analyse des données recueillies par des centaines de capteurs. Ces données, une fois traitées par des algorithmes de machine learning, nous permettent de fournir des recommandations précises aux métallurgistes. En outre, dans le domaine de la réhabilitation environnementale et des relations avec les communautés locales, nous utilisons des images de drones et des algorithmes d'IA pour identifier les zones nécessitant une attention particulière. Cependant, le déploiement de la maintenance prédictive à travers l'ensemble du groupe reste un de nos principaux défis.

Concernant l'IoT, nous avons historiquement utilisé des capteurs industriels robustes. Le déploiement à grande échelle de solutions IoT plus accessibles représente un enjeu majeur pour optimiser la maintenance de nos équipements. En tant qu'opérateur ferroviaire au Gabon, nous explorons également l'utilisation de l'IoT pour améliorer le suivi en temps réel de nos transports de minerai, malgré les défis posés par les infrastructures de télécommunication locales. Il est important de souligner que les enjeux de cybersécurité sont également prioritaires. Nos équipes DSI ont réalisé un travail considérable pour sensibiliser et protéger notre organisation, avec une attention particulière portée à la sécurisation de nos réseaux industriels.

Quelles évolutions des métiers constatez-vous suite à l’adoption des nouvelles technologies ?

Certaines fonctions traditionnelles comme celles du géologue ou du mineur restent fondamentales et inchangées dans leur essence. Un géologue continue d'analyser la structure du sol et d'estimer la composition des sous-sols, tout comme un mineur maintient son rôle dans l'extraction minière. Cependant, nous assistons à des évolutions significatives et à l'émergence de nouveaux métiers, principalement impulsées par la technologie et l'automatisation. Par exemple, dans les mines les plus modernes à travers le monde, nous voyons des camions dumpers capables de transporter 400 tonnes de minerais opérer de manière autonome, sans conducteur. Cela transforme radicalement les emplois traditionnels, les réduisant considérablement ou les convertissant en rôles de pilotage à distance depuis des centres d'opérations intégrés. Ainsi, un ingénieur minier pourrait diriger ces camions autonomes depuis une cabine spécialisée située à des milliers de kilomètres de la mine, marquant une évolution significative tant dans la nature du travail que dans les outils utilisés.

Nous sommes également témoins d'une réduction de l'utilisation du papier dans nos opérations sur le terrain. Les inspections de lignes de chemin de fer, traditionnellement réalisées à pied et documentées sur papier en raison de l'absence de connectivité, évoluent vers l'utilisation d'applications mobiles et d'outils numériques permettant la saisie des données en temps réel. De plus, l'introduction de drones pour effectuer automatiquement ces tournées annonce une automatisation croissante et le remplacement des tâches les plus pénibles ou à faible valeur ajoutée par des technologies avancées.

Face à ces changements, l'importance de la formation et de l'éducation se fait plus pressante. Il est crucial de préparer les professionnels de demain, qu'ils soient mineurs ou spécialistes de la maintenance, à ces nouvelles réalités technologiques et aux compétences qu'elles exigent.

Comment ôter, en interne, les objections aux changements transformationnels ?

Chez Eramet, une entreprise de type fédération d'ETI, le principal défi réside dans la coordination et l'alignement des différentes entités. Chaque site a ses spécificités, et harmoniser les actions tout en tenant compte de ces diversités représente un défi majeur. Cette complexité est exacerbée par notre présence internationale, opérant dans différents fuseaux horaires et cultures, ce qui complique davantage l'alignement des équipes par rapport à des entreprises plus centralisées, comme Airbus. Il est donc nécessaire de faire preuve d’une grande flexibilité et de reconnaître que les solutions adaptées à une filiale peuvent ne pas convenir à une autre. En outre, les risques liés à la géopolitique et aux marchés sont des enjeux spécifiques à notre secteur. Nous suivons de près les événements politiques dans les pays où nous opérons, car les tensions internes peuvent directement menacer nos activités.

“Le recyclage des batteries n'est pas juste une option ; c'est notre mission pour un avenir durable"

Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération

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