témoignage Triple accélération

L'économie de la fonctionnalité marque un changement profond dans notre industrie

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Fabrice Bonnifet
Directeur Développement Durable & Qualité, Sécurité, Environnement
GROUPE BOUYGUES
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Sommaire de l'ouvrage

Le défi actuel pour les entreprises transcende la simple évaluation et diminution de l'empreinte carbone. Sans une approche multicritères il y a un vrai risque de déporter les atteintes à l’environnement sur les autres limites planétaires.

Comment le Groupe agit en faveur de la préservation des ressources ?

La traduction de l’impact de notre entreprise, notamment pour le pôle construction, s’inscrit dans l’émergence de plus de circularité des éléments constitutifs des bâtiments et d’intensité d’usage des infrastructures, c’est l’une des conditions pour continuer de créer de la valeur économique sans détruire la valeur écologique. Cette approche résulte de la réalité des impacts environnementaux du secteur.
Les chiffres sont implacables, le BTP consomme des quantités importantes de ressources minérales, de l’eau, de l’énergie et contribue à artificialiser les sols. Pour atténuer ces impacts, le modèle constructif est en train de fortement évoluer pour prendre mieux et plus les prendre en compte. Mais attention : le constructeur, notamment lorsqu’il ne participe pas à la conception, possède des marges de manœuvre réduites.

Avez-vous un exemple d’action concrète ?

Avec le cabinet Carbone4, nous participons avec d’autres entreprises au développement d’un modélisateur « IF Initiative » qui va permettre d’établir des plans d’affaires au regard des limites planétaires. Avec cette méthode on va pouvoir toucher du doigt les limites des capacités de production et les conflits d’usages associés à certaines matières premières dont la disponibilité ne permettra pas de satisfaire toutes les demandes dans les années à venir. A partir de là, les entreprises vont devoir adapter leur stratégie en fonction de la réalité du monde physique qui est le nôtre. Longtemps les ressources de la planète ont semblé illimitées, ce n’est évidemment pas le cas.


Comment envisagez-vous l’activité du pôle Construction sur la prochaine décennie ?

La certitude de se tromper n’a jamais empêché les gens de faire des pronostics. Mais il est plus que probable de dire que la rénovation prenne de plus en plus d’importance, au moins dans les pays les plus développés. Les facteurs démographiques, les lois de protection de la nature, l’obligation de réduire l’empreinte carbone et les facteurs d’endettement vont probablement accentuer cette tendance. Dans les pays du sud, la situation est différente, les besoins en infrastructures sont gigantesques mais ils vont devoir adopter des modèles de constructions plus bas carbone, c’est une évidence.


Comment évolue la temporalité des projets pour rester en cohérence avec vos engagements durables ?

Le mode projet domine les activités de construction. Contrairement aux industries à fort Capex, telles que l’automobile ou l’aéronautique, où la planification à long terme est cruciale pour l’évolution des gammes de produits et des technologies, le secteur du bâtiment s’assimile plus à une activité de services. Nous sommes, dans une certaine mesure, des « nomades », passant d’un projet à l’autre selon les opportunités offertes par la volonté des clients d’investir dans des infrastructures. Cette caractéristique contractuelle n’empêche pas d’innover, bien au contraire, car pour remporter des appels d’offres nous devons démontrer notre capacité à concilier le prix de vente et les performances techniques et environnementales attendues par les clients.

“La traduction de l'impact de notre entreprise s'inscrit dans l’émergence de plus de circularité des éléments constitutifs des bâtiments et d’intensité d’usage des infrastructures, c’est la condition pour continuer de créer de la valeur économique sans détruire la valeur écologique”

Quels sont les impacts de la CSRD ?

Avec l’introduction de la CSRD, environ 50 000 entreprises en Europe sont invitées à identifier leurs principaux enjeux en double matérialité, c’est-à-dire ceux qui s’imposent à l’entreprise et ceux auxquels elle contribue, puis à définir des plans d’actions quantifiés en euros pour les maîtriser. C’est une révolution. Les entreprises ont désormais l’obligation d’allouer les moyens nécessaires pour réussir leur transition. Par exemple, ne pas pouvoir démontrer la capacité à tenir sa trajectoire de décarbonation pourrait conduire un jour prochain les entreprises à émettre des « environmental warnings » ou des « social warnings ». La CSRD* va les pousser à reconfigurer leurs modèles d’affaires pour intégrer les défis ESG* au cœur de leur stratégie.

Quels défis cela soulève-t-il ?

Les investissements nécessaires pour faire évoluer le portefeuille de solutions et remplacer les actifs échoués ou obsolètes vont grever la rentabilité à court terme de nombre d’entreprises. Sans soutien des actionnaires, la trajectoire de décarbonation n’a aucune chance d’être acceptée. La transition écologique peut être une opportunité pour certains business qui ne peuvent que progresser compte tenu des enjeux écologiques, telles la rénovation des bâtiments et la construction d’infrastructures ferroviaires, mais il y aura aussi des perdants qui vont devoir être accompagnés pour faire évoluer leur raison d’être.

“Poursuivre ses activités sans prendre en compte la nécessité de protéger, préserver et régénérer les conditions d’habitabilité de la planète compromet la disponibilité future du bon fonctionnement des services écosystémiques indispensables à l’activité économique !”

En quoi la collaboration sectorielle participe à l’accélération durable ?

Il est évident que nous devons renforcer les collaborations sectorielles pour mutualiser nos moyens, harmoniser nos approches et accompagner plus efficacement nos partenaires. Bouygues est volontaire pour faire émerger ce type d’initiative, nous verrons si elle peut aboutir.

Quels impacts concrets attendez-vous de vos initiatives avec Pact PME et Ecovadis sur la réduction de l'empreinte carbone de vos fournisseurs d'ici 2030 ?

L'impact environnemental et social (respect des droits humains fondamentaux) de la supply chain, représentant entre 70 et 90% de l'empreinte carbone des entreprises, rien d’efficace ne pourra se faire sans l’implication des fournisseurs. Pour y répondre, nous sommes parties prenantes de plusieurs initiatives lancées par Pacte PME, Ecovadis, et avec la supply sustainability school en Angleterre. L’objectif est clairement de faire monter en compétence toutes les entreprises de la chaîne de valeur, afin de faire évoluer concomitamment les technologies et les modèles d’affaires.

La prochaine évolution durable résiderait-elle dans le régénératif ?

C’est effectivement le sujet le plus pertinent. Longtemps les entreprises ont privilégié le modèle linéaire : “j'extrais, je fabrique, puis le client utilise et jette”, nous devons urgemment passer à un modèle perma-circulaire dans lequel la restauration du vivant est pris en compte dans le système de production. Pour faire simple, l’un des leviers de ce modèle est de faire en sorte que les produits ne soient plus vendus mais loués aux clients. Les entreprises auront donc intérêt à les faire durer le plus longtemps possible. C’est l’économie de la fonctionnalité pratiquée par exemple par l’entreprise Mob-ion qui propose des solutions de mobilité à “pérennité programmée”.

Quelles sont les clés, selon vous, d’une innovation durable ?

La caractéristique principale d’une innovation qui se veut durable, c’est avant tout de faire émerger des solutions fondées sur la nature, le reste est anecdotique. Autrement dit concilier frugalité avec robustesse et résilience. Nombre d’innovations technologiques apparaissent comme séduisantes sur le papier mais ne résistent pas à une analyse en coût carbone/biodiversité complet ou en impacts sur les réserves de ressources minérales. Les lowtech vont prendre de plus en plus d’importance et malheur à ceux qui pensent qu’elles ne seront pas plébiscitées par les clients, je pense l’exact contraire.

Quels sont les prochains projets d'impact que le Groupe prévoit de lancer ?

Dans une perspective de transformation durable, il est en effet essentiel pour les entreprises d'adopter une approche régénérative, comme vous le promouvez chez Bouygues. Cette démarche, qui s'appuie sur les travaux de The Shift Project et du Regen Écosystème, vise à maximiser l'utilisation des produits et des infrastructures tout en minimisant l'impact environnemental. L'objectif est de réduire la pression sur les ressources et les écosystèmes, en se concentrant sur la phase de production, qui génère la majorité des nuisances et des pollutions.

Le concept du Bâtiment Hybride à Économie Positive (BHEP) que vous mentionnez est une illustration de cette approche novatrice. Le BHEP encourage la mutualisation des espaces pour optimiser l'exploitation des bâtiments, permettant ainsi d'augmenter les recettes et de réduire le gaspillage d'espaces inutilisés. L'utilisation de matériaux et d'équipements de réemploi, avec des garanties équivalentes à celles des produits neufs, renforce encore cette idée d'une économie circulaire et régénérative.

Le recours au modèle de "materials as a service" est une autre innovation importante. En externalisant les capex et en allongeant la durée de vie des équipements, ce modèle réduit considérablement l'empreinte carbone tout en augmentant l'efficacité économique. Enfin, les BHEP, conçus pour être à énergie positive, favorisent la production et la consommation d'énergie locale via des microgrids, tout en intégrant la mobilité électrique partagée, ce qui en fait des solutions parfaitement adaptées aux défis actuels de durabilité. Ce type d'initiative représente un modèle prometteur pour l'avenir de l'immobilier et des infrastructures, tant sur le plan économique qu'écologique.

Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération

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