témoignage Triple accélération

La data constitue une ressource supplémentaire à disposition des collectivités

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David Lisnard
PRÉSIDENT
ASSOCIATION DES MAIRES DE FRANCE
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Sommaire de l'ouvrage

Les communes et agglomérations françaises, dans leur ensemble, malgré les fortes contraintes budgétaires et bureaucratiques auxquelles elles doivent faire face, démontrent une capacité exceptionnelle à s’adapter aux enjeux environnementaux et numériques et promouvoir la démocratie participative locale.

Quels sont les enjeux des territoires autour de la Data ?

La data – soit la collecte et le traitement d’un important volume de données – constitue une ressource à disposition des collectivités pour optimiser leur gestion d’un point de vue économique, écologique et managérial et pour améliorer la qualité des services publics rendus aux usagers. Les collectivités doivent embrasser les nouvelles technologies et exploiter tout leur potentiel pour être plus performantes tout en veillant à respecter scrupuleusement la confidentialité et la sécurité des données personnelles et à protéger leurs propres données contre le risque de cyberattaques. Cependant, il ne s’agit pas de s’appuyer sur une gestion uniquement centrée sur la donnée. La performance publique doit toujours être orientée vers la satisfaction des besoins des administrés, des usagers des services publics et des agents qui sont chargés de les exécuter. Si l’on perd de vue l’humain derrière la donnée, on perd le sens de l’action publique, au risque de transformer nos administrations locales en une bureaucratie orwellienne. Selon moi, la donnée est un formidable outil d’aide à la décision mais ne doit en aucun cas devenir la base de conception et d’exécution des politiques publiques.

Quelles perspectives voyez-vous concernant l’intégration de l’IA au sein des territoires et administrations publiques ?

L’intelligence artificielle (IA) est une révolution technologique sans précédent et irréversible dont les risques sont proportionnels aux capacités... Aussi, s’emparer des opportunités offertes par l’IA est plus qu’une nécessité, c’est un devoir pour améliorer la performance des administrations publiques grâce à une utilisation de l’IA respectueuse des libertés individuelles et garantissant la sécurité et la souveraineté des données traitées. Sans tomber dans le techno-solutionnisme, les élus doivent utiliser avec responsabilité et discernement les outils IA en mesurant, pour chaque cas d’usage potentiel, la plus-value générée par le recours à l’IA en comparant les gains attendus en matière d’économie budgétaire, d’amélioration du service public rendu et d’efficacité organisationnelle avec les coûts de fonctionnement, d’investissement et environnementaux (impact carbone) induits par leur mise en œuvre.
Les agents économiques, dont les collectivités locales, vont devoir s’adapter rapidement à l’irruption de l’IA, en particulier de l’IA générative*, dans leur organisation. Cela implique de recourir à de nouveaux outils (matériels et surtout logiciels), de nouveaux services et à de nouvelles compétences (prompt engineering par exemple). L’acculturation et la formation progressive des agents publics à l’utilisation de ces outils IA sont un prérequis indispensable à leur mise en œuvre partagée et efficace.

Comment l’Association des Maires accompagne cette transformation durable ?

Impliquer davantage les élus locaux dans les réponses à apporter au défi climatique passe par des actions de sensibilisation et de formation. À cet égard, l’Association des Maires de France et des Présidents d’Intercommunalité (AMF) est agréée pour la formation des élus par le ministère de l’Intérieur et conçoit une offre de formation pour accompagner ses adhérents dans l’exercice de leur mandat. Les formations dispensées par l’AMF prévoient des modules spécifiques dédiés aux problématiques environnementales tels que la rénovation énergétique des bâtiments ou la mise en œuvre de la transition écologique sur son territoire.

Quelles projections faites-vous de la ville en 2050 ?

On peut humblement prévoir que les villes de 2050 seront des villes connectées et conçues pour s’adapter aux nouveaux modes de vivre et de travailler. Face au réchauffement climatique, les villes de 2050 seront aussi idéalement plus vertes, plus arborées, plus économes en ressources et moins énergivores. Tous les bâtiments, logements et espaces publics seront conçus de façon modulable et évolutive et dupliqués en jumeaux numériques* dynamiques permettant de réguler l’énergie, la température et l’éclairage en fonction des besoins en temps réel. Ce que je souhaite surtout, c’est que la ville de 2050 soit une belle réalité physique, avec de vraies rencontres, des plaisirs matériels et spirituels qui entretiennent la tradition d’un art de vie à la française. Que cette ville de 2050 puisse offrir une qualité de vie et d’accueil permettant de se retrouver physiquement dans des espaces publics réels. Je pense que ce sera l’un des enjeux majeurs des décideurs politiques de demain : comment préserver et encourager les interactions sociales et physiques dans un monde de plus en connecté et virtuel ?

En quoi le contexte de frugalité constitue une invitation à se réorganiser et à se réinventer ?

Un vieux slogan de 1976 disait : “En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées !”. Et il est avéré, de tout temps, que les contraintes sont favorables à la créativité et à l’innovation. Le sujet étant très vaste, je me bornerai à donner quelques exemples concrets qui illustrent l’innovation communale et intercommunale. La mutualisation de certains services ressources au sein des intercommunalités ou de syndicats intercommunaux (finances, ressources humaines, systèmes d’information, transports publics, fourrière automobile, etc.) est une première réponse très largement adoptée par les communes françaises pour diminuer leurs coûts de fonctionnement. Le choix du mode de gestion le plus économiquement avantageux pour la mise en œuvre des services publics est aussi un moyen d’optimiser les ressources des collectivités locales.
À titre d’exemple, à Cannes, le secteur de la propreté urbaine a fait l’objet d’un travail approfondi consistant à comparer le coût que représenterait une internalisation de certaines prestations avec le prix payé par la Mairie de Cannes dans le cadre de marchés publics, à volume et qualité de service public constants voire améliorés. Dans tous les cas où la mise en régie des prestations s’est avérée plus avantageuse pour la collectivité, la décision d’internalisation a été validée. Ainsi, entre novembre 2014 et juillet 2017, une dizaine de prestations de propreté urbaine, jusqu’alors confiées à des sociétés privées dans le cadre de marchés publics, ont fait l’objet d’une reprise en régie (nettoyage des chaises bleues de la Croisette, nettoyage de la pollution canine, entretien et maintenance des distributeurs de canipoches, maintenance des fontaines et bassins de la ville, lavage et balayage manuel d’une partie des voies et places de marchés, brossage et nettoyage haute pression des voies piétonnes, nettoyage des toilettes publiques, etc.). Cette reprise en régie a permis de réaliser une économie nette annuelle récurrente de 2,7 millions d’euros TTC par rapport à l’année de référence 2014.


Comment abordez-vous la gestion des risques ?

La prévention des risques majeurs, qu’ils soient d’origine naturelle, numérique ou humaine, fait partie intégrante d’une gouvernance responsable, à l’échelle locale, nationale, européenne et internationale. Chaque collectivité locale doit conduire une politique de prévention des risques majeurs qui passe nécessairement par une phase de diagnostic. À cet égard, la data et l’IA offrent aux collectivités de formidables outils de simulation prédictive qui permettent d’adapter et de proportionner les moyens de prévention à mettre en œuvre pour réduire au maximum ces risques.


Comment l’innovation technologique soutient la politique d’innovation locale ?

L’innovation technologique n’a de sens et d’efficacité que si elle est mise au service d’une politique d’innovation globale, conduite à l’échelle de la collectivité et qui doit infuser l’ensemble de son fonctionnement. Elle doit aussi servir un objectif de performance publique, qui remet au centre l’usager des services publics et qui réduit au maximum le carcan bureaucratique. En matière de contrat social donc, les technologies, et en particulier les outils d’Intelligence Artificielle, ont un impact positif à plusieurs endroits. Voici quelques cas d’usage, non exhaustifs, qui illustrent leur impact positif :

-gestion de l’eau : détection des fuites, amélioration de la distribution ;
-transports publics : optimisation des flux de trafic, réduction des délais d’attente ;
-participation citoyenne et démocratie participative : budgets participatifs, consultations en ligne sur les projets locaux ;
-communication : traduction en temps réel pour mieux accueillir les visiteurs et résidents étrangers ;
-éducation : personnalisation de l’apprentissage ;
-environnement : surveillance de la qualité de l’eau et de l’air ;
-sécurité : vidéosurveillance algorithmique pour détecter les comportements suspects en temps réel, dans le respect du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).


Comment les synergies peuvent favoriser l’attractivité du territoire, en particulier à Cannes ?

Les synergies avec des partenaires autres que des collectivités locales, qu’ils soient publics ou privés, sont également recherchées et développées afin de renforcer l’attractivité des territoires. Ainsi, en septembre 2021, a été inauguré à l’ouest de Cannes le campus universitaire Georges-Méliès, dédié aux écritures créatives et aux métiers du son et de l’image. Le campus, qui accueille 1 200 étudiants et 36 formations, a été reconnu récemment comme l’un des “25 lieux qui changent l’innovation en France” après avoir été présélectionné. Il favorise la fertilisation croisée entre étudiants, chercheurs et professionnels grâce à la présence sur le site d’une pépinière et d’une cité des entreprises, de studios de production et post-production audiovisuelles, ainsi que d’un cinéma multiplexe futuriste de 2 400 fauteuils, le Cineum Cannes. D’ailleurs, compte tenu de l’ampleur des défis à relever et à l’aune des grandes transformations durables et digitales, la coopération public-privé doit être approfondie. Une coopération qui doit d’ailleurs dépasser les liens réglementaires et contractuels classiques entre administrations publiques et entreprises, que constituent les marchés publics et les concessions de travaux et de services publics. L’hybridation entre public et privé, le partage des meilleures pratiques et méthodes, doivent être encouragés pour le bénéfice réciproque des collectivités, des entreprises et du territoire.

Comment l’innovation permet de soutenir des engagements durables ?

À titre d’exemple, nous avons obtenu, à l’échelle de l’Agglomération Cannes Lérins et à titre précurseur, le droit d’utiliser les eaux usées, en lieu et place de l’eau potable, pour nettoyer nos rues et irriguer nos espaces verts, ce qui nous permet de valoriser une partie des 15 millions de m³ d’eau traitée de la station d’épuration jusque-là rejetée en mer. Il s’agit d’une mesure innovante ayant des répercussions favorables à la fois sur le budget des communes membres et sur l’environnement en préservant leurs ressources en eau potable. L’innovation s’incarne aussi dans la décarbonation des activités. À Cannes, la mise en place d’un réseau de thalassothermie, alimenté à 85 % par des énergies renouvelables et exploitant l’énergie calorifique de la mer Méditerranée, permettra de répondre à une partie des besoins en chauffage et climatisation de bâtiments situés le long de la Croisette et à l’est de la commune d’ici 2026 (hôtels, Palais des Festivals et des Congrès, établissements scolaires, copropriétés), et à des tarifs stables et compétitifs. Ce projet revêt une importance capitale en matière d'indépendance énergétique, visant à développer le tourisme durable et à améliorer le confort des résidents. Enfin, concernant les transports publics, tous les bus de l’Agglomération Cannes Lérins sont aujourd’hui décarbonés, utilisant l’électricité ou provisoirement du biocarburant. En 2035, tous les bus de l’agglomération cannoise rouleront à l’électricité ou à l’hydrogène.

“Si on perd de vue l’humain derrière la donnée, on perd le sens de l’action publique, au risque de transformer nos administrations locales en une bureaucratie orwellienne”

Comment l’innovation technologique se traduit en actions pour la ville de Cannes ?

Nous avons notamment anticipé de plusieurs années la dématérialisation des demandes d’autorisation d’urbanisme. Nous travaillons également aujourd’hui sur un plan de déploiement de l’Intelligence Artificielle Générative afin d’augmenter la productivité et améliorer le quotidien des agents, d’optimiser l’organisation et le fonctionnement des services municipaux et d’améliorer les services publics rendus aux usagers. L’idée n’est pas de remplacer les agents municipaux par une Intelligence Artificielle mais de les décharger de tâches administratives ingrates et chronophages afin qu’ils puissent se consacrer à des missions plus valorisantes et soient davantage disponibles dans leurs relations avec les usagers.
Par ailleurs, lors de la dernière édition du Festival de Cannes (14 au 25 mai 2024), la Mairie a expérimenté l’usage de la vidéosurveillance algorithmique au service de la protection de la population. Ce dispositif utilisant l’Intelligence Artificielle a été installé sur 17 caméras du réseau de vidéoprotection de la Commune présentes autour du Palais des Festivals et des Congrès et a permis aux opérateurs du Centre de Protection Urbain municipal de repérer des comportements jugés suspects ou à risque et, ainsi, de déclencher une intervention plus rapide. Cette opération innovante, réalisée en lien avec le ministère de l’Intérieur - même si elle doit être améliorée techniquement - a permis de renforcer la sécurité du célèbre événement culturel.

Comment Cannes mixe transformation durable, digitale et organisationnelle de manière cohérente ?

Sur la collecte de déchets connectée, le centre opérationnel de pilotage de la collecte des déchets, basé sur un système d’aide à l’exploitation et piloté par l’Agglomération Cannes Lérins, est une bonne illustration d’initiative locale innovante répondant au triple enjeu environnemental, digital et managérial. Outre une réduction de 10% des dépenses de fonctionnement, il permet le suivi en temps réel des tournées, la géolocalisation des bennes et bacs et apporte aux agents de terrain de meilleures conditions de travail, davantage de sécurité, plus d’efficience et une plus grande réactivité en cas d’incident.
Sur un autre sujet, concernant la lutte contre les inondations, l’Agglomération cannoise a renforcé ses actions de prévention, de protection et d’intervention en matière de lutte contre les inondations, en ayant recours à des technologies émergentes telles que :
- la modélisation hydraulique qui permet d’analyser les ruissellements et leurs conséquences
- l’instrumentalisation afin de mieux adapter le niveau d’alerte grâce à des données plus précises et à l’installation de 31 capteurs sur les cours d’eau
- ou encore l’hypervision qui permet de centraliser les données, d’analyser en temps réel les situations et d’anticiper les événements climatiques.
D’ailleurs, pour l’ensemble de ses actions, l’Agglomération Cannes Lérins a été désignée, en 2023, lauréate du label « Territoire Innovant » 2023 dans la catégorie « territoire intelligent et responsable ».
Enfin, sous réserve de l’approbation du Conseil municipal, Cannes sera territoire d’expérimentation , dès l’été prochain, d’une solution innovante proposée par le consortium Serenity constitué de l’IMREDD/Université Côte d’Azur (bac à sable), Atrisc (gestion de crise), Vidétics (vidéosurveillance algorithmique),  Inocess (capteurs IoT) et Siradel (jumeau numérique dynamique), filiale d’Engie pour la prévention du risque de tsunami. Cette expérimentation consistera à mesurer et caractériser les flux piétons et véhicules dans le périmètre de la Croisette à l’occasion des soirées du Festival pyromusical estival dans l’objectif d’anticiper et de simuler au mieux l’évacuation des personnes en cas d’alerte tsunami dans les zones à risque équipées d’une signalétique avec itinéraires dirigeant vers des sites refuges.

Entretien réalisé au 1er semestre 2024 dans le cadre de l'ouvrage Comment réussir votre stratégie de triple accélération

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