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Jean-Philippe Ollier (Michelin): “Avec les technologies, la charge mentale de l’opérateur diminue” | HUB Institute - Digital Think Tank

17/10/2019
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Jean-Philippe Ollier (Michelin): “Avec les technologies, la charge mentale de l’opérateur diminue” | HUB Institute - Digital Think Tank

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Jean-Philippe Ollier, VP Manufacturing Enginering du groupe Michelin, est un interlocuteur de choix pour ceux qui s'intéressent aux mutations de l'industrie. Transformation des process, des business models, de l'organisation, empowerment du collaborateur en usine, recherche & développement, croissance externe... Dans un nouveau numéro de C-Level, nous l'avons interrogé sur la façon dont le manufacturier français a construit, puis déployé sa roadmap digitale en France et à l'international.

Depuis 30 ans, Jean-Philippe Ollier fait partie de la grande famille Michelin. Responsable technique, directeur d’usine, puis directeur industriel, il maîtrise également les versants business de l’activité de la marque au Bibendum, pour avoir entre autres dirigé son business avion au niveau monde, ou les activités en Amérique du Sud. Aujourd’hui patron de l’ingénierie du groupe, son rôle consiste à faire le lien entre le produit et l’industrie, sur un périmètre monde de 1500 personnes, pour un investissement de 1,2 milliard d’euros, dans lequel le digital trouve sa place.

Autant dire que Jean-Philippe Ollier, VP Manufacturing Enginering, est un interlocuteur de choix pour répondre à nos questions. Comment transformer un groupe centenaire ? Quelle est la vision Michelin de l’Industrie 4.0 ? Comment le digital change-t-il le quotidien des travailleurs en usine ? Quels seront les nouveaux matériaux, les nouvelles technologies qui porteront la mobilité durable de demain ? Comment mettre l’industrie française au diapason de la Smart Industry ? 

Jean-Philippe Ollier VP Manufacturing Michelin

Comment l'innovation et le digital servent-ils la « meilleure façon d'avancer », raison d'être du groupe Michelin ?

On est assis sur un trésor qui s'appelle la donnée. Et cette donnée, il faut que nous soyons capables de la capter quand on ne l’a pas déjà, et qu'on soit capable de la traiter et de la mettre à disposition. Mais c’est un trésor aussi disponible auprès de toutes les entreprises, dans tous les endroits, dans tous les pays. C'est donc une révolution qui va se généraliser, et qui va exiger des industriels d'accélérer leurs évolutions technologiques.

Comment Michelin compte capitaliser sur la donnée au service de sa transformation

Quels sont les grands axes de la stratégie digitale de Michelin ? 

La révolution numérique est tournée autour de l'utilisation de la donnée, pour mieux servir les clients, mais aussi mieux utiliser les assets au niveau industriel. Côté clients, nous développons des mesures qui nous permettent de mieux comprendre l'utilisation des pneumatiques, mais aussi des services qui permettent aux patrons des entreprises de mieux valoriser les assets que représentent les pneumatiques. Dans des entreprises de transport, le pneumatique est un investissement important : notre devoir est d'aider nos clients à mieux les utiliser pour diminuer leurs coûts d'exploitation.

Je vais vous prendre plusieurs exemples. Nous travaillons avec des entreprises du secteur minier, pour comprendre comment optimiser l'utilisation des pneumatiques, sur ces camions gigantesques destinés à extraire le minerai. Ce sont des produits chers, qui méritent une attention particulière. Nous mesurons l'utilisation du pneumatique, avec des mesures comme la pression, la température. Nous travaillons à minimiser les usures en intervenant non seulement sur le pneumatique, mais aussi sur la pente des routes qui mènent aux lieux d’extraction.

On peut parler des agriculteurs : nous développons des pneumatiques qui, lorsqu'ils exercent moins de pression, exercent moins de tassage du sol et permettent une meilleure rentabilité des sols. On travaille aussi énormément avec les flottes de camions, de bus. Le pneumatique est responsable pour 20 à 30 % de la consommation d'énergie des véhicules, nous devons travailler à l'optimisation de cette consommation d'énergie. 

Dans certains cas, nous ne vendons plus des pneus, nous facturons des atterrissages.

Un dernier exemple, puisque j'ai travaillé dans l'aviation : dans certains cas, nous ne vendons plus des pneus, nous facturons des atterrissages. Le pneu devient alors un asset de l'entreprise Michelin, et notre objectif consiste alors à l'utiliser le mieux possible. Cela devient extrêmement vertueux parce qu'avec un asset de ce type, vous essayez de le concevoir pour qu'il dure. Et quand il dure, vous intervenez moins sur les avions, donc vous les arrêtez moins pour pouvoir changer les pneus. Quand ils durent, vous avez moins à les recycler.

On peut imaginer des utilisations de la technologie destinée à obtenir plus de bien-être pour les collaborateurs.

La technologie au service du bien-être de l'opérateur : l'exemple de la montre connectée à Cholet

 

Quelle est la vision de l'industrie 4.0 selon Michelin ?

On a commencé à écrire notre roadmap digitale il y a trois ans, en regardant tout ce qui se faisait aux Etats-Unis, en Allemagne, en France, mais aussi dans nos usines, qui utilisaient déjà un certain nombre de technologies digitales. Lors de ces six mois de préparation, nous avons vu des industriels, des providers de solutions, des consultants. Et nous avons présenté au groupe une roadmap avec dans un premier temps, une période d'analyse approfondie et de démonstrateurs. 

Et puis, on a dit au groupe : “Dans cette période de deux ans, nous souhaitons vous dire quelles technologies informatiques installer". Faut-il tout changer ? Faut-il associer des technologies qui nous permettent de capter, stocker, gérer et protéger les données avec les systèmes d'information que nous avons déjà  ? Faut-il faire évoluer le système d'information et si oui, comment ? Bref, une roadmap technique, qu’il fallait rendre uniforme et homogène sur l'ensemble de nos usines. 

On leur a dit aussi que l'introduction de ces technologies allait s'accompagner d’un challenge en management fort et là, on ne parle pas uniquement de compétences techniques. On parle de l'évolution de ce que les personnes feront parce qu’elles auront accès à l'information, et du management qui accompagnera ce changement. 

Donc, on a dit au groupe : “Voilà, il nous faut deux ans pour vous dire ce qu'il faut faire dans tous ces domaines-là.” On leur a aussi dit la valeur qu'on pensait aller chercher, de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros. Et que c'était bien de s'en préoccuper rapidement.

 

Comment change-t-on le quotidien des usines grâce au digital et aux nouvelles technologies ? Quelle est votre vision de l’empowerment de l'ouvrier, du collaborateur augmenté ?

Nous avons donné au groupe deux pré-requis dans le cadre de cette transformation digitale. Le premier, c’était que l'ensemble du personnel de l’usine travaille de manière lean et donc, réfléchir à la manière dont les choses se font dans nos usines pour éliminer le plus possible les flux inutiles, et en particulier les flux d'information. Et le deuxième, c'est la responsabilisation des personnes.

Le lean et la responsabilisation des personnes, deux pré-requis à la transformation

 

Quel regard portez-vous sur le travail de transformation déjà accompli ?

Nous avons développé 40 démonstrateurs en deux ans, sur une dizaine d'usines, couvrant quatre domaines d'application : meilleure utilisation de nos assets en termes de maintenance, meilleure qualité de fabrication, meilleure linéarité de nos flux en usine, et allègement du travail de nos opérateurs. Voilà les quatre directions que nous avons choisies pour développer les technologies digitales.

Avec ces quarante démonstrateurs, on a réussi à démontrer une valeur importante, atteignant plusieurs millions d'euros. Multipliée par notre nombre de sites, on arrive à plusieurs centaines de millions d’euros. Rien qu'avec un premier lot d'applications simples, on voit que la valeur est là et qu'il faut aller la chercher rapidement.

Nous devons avoir une architecture informatique extrêmement solide : la donnée est trop précieuse, nous devons développer des compétences nous permettant d'aller la chercher. Nous formons des ingénieurs dans les usines afin de capter toutes sortes de données différentes et les mettre à disposition. Il est nécessaire de développer des systèmes qui permettent de stocker un nombre très large de données en temps réel, et de les protéger contre les risques d’attaques. Et là encore, il nous faut des spécialistes : dans chacune des usines, nous aurons des administrateurs de données. Le travail technique sur ce socle informatique sera uniforme et homogène.

Et puis, vous avez le champ des domaines d’application, qui doivent être les plus simples possibles, pour être développées rapidement sur l’ensemble des usines. Nos usines n'auront pas les mêmes besoins immédiatement, il faut les autoriser à prendre les applications à la carte. Donc, on va dresser un cadre technologique, un cadre de développement aussi. On va autoriser les usines à choisir ces applications, voire même à nous aider à les développer, qui ensuite pourront être généralisées à l'ensemble des autres usines.

Les usines "digital leaders" de Michelin, relais de la plateforme centrale dans la transformation

Nos usines "digital leaders" seront les relais de la plateforme centrale. 

Nous sommes dans une phase de déploiement aujourd'hui, nous savons quelle est la valeur à aller chercher, quelles sont les technologies que nous voulons utiliser pour nos systèmes d'information, les métiers que nous voulons mettre en oeuvre, et nous rendons cet ensemble solide avec la mise en place d'une digital academy et d'une digital factory. 

 

Quelles sont vos ambitions en termes de R&D sur les nouveaux matériaux et les nouvelles technologies (biomatériaux, technologies de l’hydrogène, fabrication additive, pneu connecté…) ?

Le matériau est au coeur du développement de nos produits et va le rester. Nous recherchons énormément dans ce domaine, et nous pensons que nous sommes capables d'étendre le champ de l'application de ces recherches. On le fait notamment au travers d'acquisitions. Nous avons réalisé une joint-venture avec Fives et créé une société qui s'appelle AddUp, spécialisée dans l’impression métal 3D. Aujourd'hui, nous-mêmes utilisons cette technologie dans le cadre de la réalisation de nos outils dimensionnels et nos moules, mais nous sommes persuadés que nous pouvons l’étendre à d'autres domaines comme le médical, l'aéronautique. 

Le matériau est au coeur du développement de nos produits et va le rester.

Nous avons l'exemple de cette joint-venture avec Faurecia sur l'hydrogène, pour développer des piles avec des puissances de 5 à 100 kilowatts, qui seront utilisés par différents véhicules demain pour rendre notre mobilité encore plus durable.

Avec Axens et l’IFP, nous travaillons à développer des matériaux plus durables. Lors de l'événement Movin’on, nous avons annoncé qu’en 2050, plus de 80% des matériaux utilisés dans le pneumatique seraient durables et que 100% de nos produits seraient recyclés. Nous avons établi aussi des coopérations pour développer des élastomères synthétiques à partir de la biomasse. Ce sont des domaines de recherche qui vont véritablement nous aider à faire évoluer la mobilité, la rendre plus durable ces prochaines années.

Michelin s'est très tôt et très vite dans son histoire diversifié vers les services (guides, cartes…) – ce qui a contribué à porter la marque à ce niveau élevé de notoriété mondiale : comment comptez-vous exploiter et approfondir cette veine de services au client avec le numérique ?

Nous voulons développer l'activité du groupe dans quatre domaines : le domaine du pneumatique, le domaine des matériaux, le domaine des services, qui permettront aux entreprises de mieux utiliser les pneumatiques. Et puis, il y a le domaine de l'expérience, pour lequel nous cherchons à offrir à nos clients des services uniques dans le cadre de leur mobilité. 

Comment Michelin creuse le sillon de l'expérience client

Comment se porte la digitalisation de l'industrie française aujourd’hui ? Quels sont pour vous les grands enjeux que doit relever celle-ci pour se transformer et prospérer dans un monde en transition ?

Le digital est une révolution disponible partout, prise en compte par tous les industriels, dans tous les pays. Où qu'on soit, on se doit de développer des technologies pour permettre d'aller aussi vite que notre environnement nous le réclame. Et je ne parle pas uniquement de concurrence, je parle de l'environnement de nos fournisseurs, de nos clients, qui vont nous demander d'utiliser la technologie pour améliorer les échanges que nous avons avec eux. C'est un fait : on opère dans tous les pays et tous les pays ont un dynamisme dans l'utilisation des technologies digitales qui est réel. C'est vrai en Europe, c'est vrai aux Etats-Unis, et c'est complètement vrai en Asie, où nous avons des sites industriels qui vont très, très vite dans l'introduction de ces technologies.

Tous les pays ont un dynamisme dans l'utilisation des technologies digitales. C'est vrai en Europe, c'est vrai aux Etats-Unis, et c'est complètement vrai en Asie.

La volonté que nous avons, et qui existe aujourd'hui en France, est de voir des consortiums d'industriels, d'universités et de centres de recherche, travailler ensemble pour développer des applications auprès de toutes les entreprises qui voudraient le faire. Donc, nous partageons largement les technologies, nos façons de faire, pour aider les petites et moyennes entreprises qui nous entourent et qui voudraient se lancer dans cette aventure. Ce sont des volontés nationales, régionales, qui réunissent de plus en plus d'acteurs, qui font la promotion de ces consortiums et s'impliquent dans ces progrès. 

 

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